paru très-aimable, fort instruit, et fort au-dessus de son âge ; il passait déjà pour un excellent officier. Je veux encore me flatter que les gazettes ne savent ce qu’elles disent : cela leur arrive fort souvent.
Je ne suis que trop sûr de la mort du chevalier de Béthizy, qui était bien attaché à la bonne cause, et que je regrette beaucoup ; mais je veux douter de celle de M. de Coigny.
Donnez-moi donc, pour me consoler, quelques espérances sur un certain duché[1] qui ne vaut pas celui de Milan, mais pour lequel j’ai pris un vif intérêt.
Je persiste plus que jamais dans mon culte de dulie.
J’ai brisé mes entraves, monsieur ; j’ai secoué la poussière classique. Me voici libre, et à peu près heureux à Paris, dans le centre des arts, où j’ai depuis si longtemps désiré de cultiver les lettres. Mais, monsieur, que les arts, les lettres, et le bon goût, ont étrangement dépéri dans ce pays ! que tout ce que j’y vois s’accorde peu avec les idées que je m’étais formées d’après la lecture de nos modèles ! Je me trouve ici comme tombé des nues. Je n’y entends personne, et l’on ne m’y entend point. On me parle de comédies qui font pleurer, et je vois des tragédies qui me font rire. On me dit de travailler dans ce goût-là, et je ne sais ce que c’est que ce goût-là. Cependant il faudra bien m’y faire, et je commence à entrevoir que cela n’est pas difficile.
En vérité, monsieur, je ne sais ce qu’on pensera un jour de notre siècle ; mais je sais bien, moi, qu’il ressemble furieusement à celui de Sénèque et de Silius Italicus. C’est vous qui avez vu finir les beaux jours de notre littérature, et qui nous en avez si longtemps consolés ; et vous avez la douleur de ne laisser après vous aucun espoir de nous consoler de votre absence.
Pardonnez, monsieur, cette complainte à un triste partisan du vieux goût, à un admirateur de vos ouvrages. Il n’est pas possible que je m’accoutume jamais à trouver beau ce qui ne le sera jamais qu’à condition que Molière, Racine, Boileau, et vous, serez détestables.
Mais je viens enfin au principal objet de ma lettre, qui est de vous remercier de la connaissance que vous m’avez procurée de M. de La Harpe. Je n’ai qu’à me louer de sa politesse et de ses conseils, et surtout de la vénération qu’il témoigne pour vous. Il jure par votre nom, comme Philoctète jurait
- ↑ Castro et Ronciglione, que M. de Voltaire voulait voir réunis au duché de Parme. (K.) — Voyez tome XXVII, page 204.