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CORRESPONDANCE

par Hercule ; et je ne doute point qu’il ne remplisse glorieusement le rôle de Philoctète. Il serait certainement bien en état de s’opposer au torrent, et de combattre les monstres de notre littérature ; mais le mal est trop invétéré ; son exemple vient trop tard, et il ne fera que se sauver du naufrage général.

Je n’ai pas trouvé les esprits fort prévenus en faveur de ma Médée non magicienne[1]. On me sait mauvais gré d’avoir ôté cette brillante décoration qui fait un si bel effet aux yeux des clercs et du peuple. On me dit aussi que ces évocations magiques de Longepierre ne sont pas sans agrément, et qu’après tout ses vers redeviennent assez bons pour nos oreilles. J’ai eu beau dire, après vous, qu’une femme sorcière ne peut nous toucher ni nous intéresser ; que la magie détruit tout l’effet, et rend tout autre personnage que Médée ridicule devant elle ; que c’est un monstre dégoûtant de tuer ses enfants sans raison, puisqu’elle peut les emmener dans son char : j’ai dit mille autres choses semblables, mais on ne m’en a tenu compte ; et, dans ce siècle philosophe, j’ai trouvé qu’on aimait encore assez les sorcières sans y croire.

Enfin, monsieur, j’ai remis ma pièce entre les mains de M. Lekain, et j’attends son avis pour la lire à messieurs les comédiens assemblés. Je n’en augure pas un grand succès, mais je m’en consolerai en faisant mieux.

Comme mes revenus ne sont pas assez considérables pour vivre ici en simple faiseur de vers, je cherche à m’y placer un peu honnêtement, ou comme secrétaire ou comme instituteur dans quelque maison considérable. Si par vos connaissances, monsieur, vous pouviez m’aider dans mes vues, je joindrais cette bonté à celles que vous avez déjà eues pour moi, et ma reconnaissance vivrait autant que moi-même.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec l’admiration et l’attachement le plus sincère, etc.

Clément.
7409. — DE M. D’ALEMBERT.
Paris, le 6 décembre.

Vous ne m’écrivez plus que de petits billets[2], mon cher et ancien ami ; je vous sais fort occupé, et je respecte votre temps. Je crois vous avoir remercié[3] du Siècle de Louis XIV. Vous en avez envoyé un exemplaire à notre secrétaire, M. Duclos, qui, étant malade d’une fluxion de poitrine, m’a chargé de vous en remercier pour lui. Quant à notre pauvre Damilaville, il est dans un état affreux, ne pouvant ni vivre ni mourir, et n’ayant de connaissance que pour sentir toute l’horreur de sa situation. Il reçut l’extrème-onction, il y a quelques jours, sans savoir ce qu’on lui faisait. Je vais le

  1. Voyez Grimm, édition Tourneux, tome XII, page 218.
  2. Qui sans doute sont autres que les lettres 7356 et 7382, et ne sont point imprimés.
  3. Lettre 7384.