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CORRESPONDANCE

ne sait donc pas que c’était son bien : j’avais d’abord imaginé que M. le duc de Choiseul pourrait avoir la bonté d’en faire présenter un exemplaire à quelqu’un qui n’a pas le temps de lire[1]. Mais j’envoyai ce même exemplaire pour être donné à celle qui daigne lire, et il y avait même quatre petits versiculets[2] qui ne valent pas grand’chose. Cela sera perdu dans l’énorme quantité de paperasses qu’on reçoit à chaque poste. La perte n’est pas grande.

Il est vrai que je lui ai envoyé le Marseillois[3] de Saint-Didier, et que je n’ai pas osé risquer les Trois Empereurs en Sorbonne[4], de l’abbé Caille, à cause des notes.

Dieu me garde d’avoir la moindre part à l’A, B, C ! C’est un ouvrage anglais, traduit et imprimé en 1762[5]. Rien n’est plus hardi et peut-être plus dangereux dans votre pays. C’est un cadran qui n’est fait que pour le méridien de Londres. On m’a fait étranger, et puis on me reproche de penser comme un étranger ; cela n’est pas juste.

On m’a su mauvais gré, par exemple, d’avoir dit des fadeurs à Catherine. Je crois qu’on a eu très-grand tort. Catherine avait fourni cinq mille livres pour le Corneille de madame votre femme. Catherine m’accablait de bontés, m’écrivait des lettres charmantes : il faut un peu de reconnaissance ; les muses n’ont rien à démêler avec la politique. Tout cela m’effarouche. Cependant, si on le veut, si on l’ordonne, s’il n’y a nul risque, je chercherai un A, B, C, et j’en ferai tenir un à la personne du monde qui fait le meilleur usage des vingt-quatre lettres de l’alphabet quand elle parle et quand elle écrit.

Pour La Bletterie, il est très-certain qu’il a voulu me désigner en deux endroits, et qu’il a désigné cruellement Marmontel dans le temps qu’il était persécuté par l’archevêque et par la Sorbonne. Il a attaqué Linguet ; il a insulté de même le président Hénault (page 235, tome II) : « En revanche, fixer l’époque des plus petits faits avec exactitude, c’est le sublime de plusieurs prétendus historiens modernes. Cela leur tient lieu de génie et des talents historiques. »

Peut-on appliquer un soufflet plus fort sur la joue du président ? Et puis comment trouvez-vous les talents historiques ? Ne

  1. Louis XV.
  2. Ce quatrain est perdu.
  3. Voyez tome X.
  4. Voyez ibid.
  5. Voyez la note 1, page 188.