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CORRESPONDANCE.

Vous me fîtes l’amitié de m’écrire, au commencement de 1766, lorsque je vous demandais d’être inscrit sur la feuille de vos bienfaits, que j’avais attendu trop tard, que j’en serais puni, que j’attendrais ; qu’il aurait fallu vous parler de mon grenier dans le temps de la moisson ; que tout le monde avait glané, hors moi, parce que je ne m’étais pas présenté. Vous me promettiez de réparer ma négligence ; vous ajoutiez, de la manière la plus agréable et la plus consolante, que vous m’aimiez comme on aime dans la jeunesse.

Cela m’a rappelé avec quelle vivacité vous entreprîtes et vous poursuivîtes, sur la fin de la régence, de faire mettre sur ma tête la moitié de votre pension, et comme, par vos instances, M. le duc de Melun s’intéressa au succès de ce projet, sous le ministère de monsieur le Duc. Mais les tristes événements qui se succédèrent coup sur coup renversèrent une si rare marque d’amitié et de bienfaisance, dont la Gazette de Hollande fit une mention particulière. C’est ce qui m’a toujours encouragé de vous dire, s’il en était besoin, comme Horace le dit à Mécène en lui rappelant ses bienfaits : Nec, si plura velim, tu dure deneges ; et c’est ce qui me faisait dire dernièrement à table, chez monsieur le lieutenant civil, qu’il n’y avait que M. de Voltaire à qui je pusse demander avec plaisir, et de qui je pusse recevoir de même.

Je ne vous écrirai point de nouvelles de littérature, parce que je suis trop plein de petits chagrins domestiques.

Thieriot.
7457. — À M. DE POMARET,
à ganges.
15 janvier.

Je vois, monsieur, que vous pensez en homme de bien et en sage ; vous servez Dieu sans superstition, et les hommes sans les tromper. Il n’en est pas ainsi de l’adversaire que vous daignez combattre. S’il y avait dans vos cantons plusieurs têtes aussi chaudes que la sienne, et des cœurs aussi injustes, ils seraient bien capables de détruire tout le bien que l’on cherche à faire depuis plus de quinze ans. On a obtenu enfin qu’on bâtirait sur les frontières une ville dans laquelle seule tous les protestants pourront se marier légitimement[1].

Il y aura certainement en France autant de tolérance que la politique et la circonspection pourront le permettre. Je ne jouirai pas de ces beaux jours, mais vous aurez la consolation de les voir naître. Il faudra bien qu’il vienne enfin un temps où la religion ne puisse faire que du bien. La raison, qui doit toujours paraître sans éclat, fait sourdement des progrès immenses. Je

  1. Versoy : ce projet ne fut point exécuté. (B.)