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ANNÉE 1768.

gens ; car, pour la canaille, le plus sot ciel et la plus sotte terre est ce qu’il lui faut.

Je prends le ciel et la terre à témoin que je vous aime de tout mon cœur.

Pardieu, vous êtes bien injuste de me reprocher des ménagements pour gens puissants, que je n’ai connus jadis que pour gens aimables à qui j’ai les dernières obligations, et qui même m’ont défendu contre les monstres. En quoi puis-je me plaindre d’eux ? est-ce parce qu’ils m’écrivent pour me jurer que La Bletterie jure qu’il n’a pas pensé à moi ? Faudrait-il que je me brûlasse toujours les pattes pour tirer les marrons du feu ? Ce sont les assassins que je ne ménage pas. Voyez comme ils sont fêtés tome Ier et tome IV du Siècle.

7456. — DE M. THIERIOT.
À Paris, ce vendredi 13 de janvier,

Nec, si plura velim, tu dare deneges[1].

Il n’y a que vous au monde, mon ancien ami, mon honneur et mon soutien, avec qui je puisse prendre l’air et le ton dont je vous écris.

Frontis ad urbanæ descendi præmia[2].

Il y a deux ans que je paye habituellement les tributs que la vieillesse doit à la nature. L’asthme était mon incommodité dominante et familière ; mais un régime austère et une plante que j’ignore et dont je n’use plus, mais dont j’ai heureusement une bonne provision, en ont fait disparaître tous les symptômes à la fin de l’été. Ma santé est donc aussi bonne que je pouvais le souhaiter ; mais ma petite fortune et mes affaires sont dans le plus grand dérangement. J’ai payé trois années, de six cents livres chacune, pour remplir les engagements que j’avais pris pour le mariage de ma fille.

Voici mes revenus : douze cents livres du roi de Prusse, dont il ne me reste que mille livres, les deux cents livres payant tous les papiers littéraires dont je lève mes extraits, payant aussi des copies dee pièces et autres ouvrages qu’il faut y joindre. Ces mille livres du roi de Prusse, avec deux mille six cents livres viagères sur l’Hôtel de Ville, et quatre cents livres par an sur M. le comte de Lauraguais, me donnaient l’espérance de me tirer d’affaire, en payant même mon engagement, de six cents livres. Mais une nouvelle charge perpétuelle m’est survenue, par la nécessite de prendre une seconde femme pour me servir et me secourir dans mes infirmités.

  1. Horace, livre III, ode xvi, vers 38.
  2. Id., livre I, épître ix, vers 11.