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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/345

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ANNÉE 1769.

excrément franc-comtois, pour obtenir ce bref dont je vous ai parlé. Ils mont imputé les livres les plus abominables : ils auront beau faire, je suis meilleur chrétien qu’eux ; je leur pardonne comme à La Bletterie. J’édifie tous les habitants de mes terres, et tous les voisins, en communiant. Ceux que leurs engagements empêchent d’approcher de ce sacrement auguste ont une raison valable de s’en abstenir ; un homme de mon âge n’en a point après douze accès de fièvre. Le roi veut qu’on remplisse ses devoirs de chrétien : non-seulement je m’acquitte de mes devoirs, mais j’envoie mes domestiques catholiques régulièrement à l’église, et mes domestiques protestants régulièrement au temple : je pensionne un maître d’école pour enseigner le catéchisme aux enfants. Je me fais lire publiquement l’Histoire de l’Église’' et les Sermons de Massillon à mes repas. Je mets l’imposteur d’Annecy hors de toute mesure, et je le traduirai hautement au parlement de Dijon s’il a l’audace de faire un pas contre les lois de l’État. Je n’ai rien fait et je ne ferai rien que par le conseil de deux avocats, et ce monstre sera couvert de tout l’opprobre qu’il mérite. Si par malheur j’étais persécuté (ce qui est assez le partage des gens de lettres qui ont bien mérité de leur patrie), plusieurs souverains, à commencer par le pôle, et à finir par le quarante-deuxième degré, m’offrent des asiles. Je n’en sais point de meilleur que ma maison et mon innocence ; mais enfin tout peut arriver. On a pendu et brûlé le conseiller Anne Dubourg. L’envie et la calomnie peuvent au moins me chasser de chez moi ; et, à tout hasard, il faut avoir de quoi faire une retraite honnête.

C’est dans cette vue que je dois garder le seul bien libre qui me reste ; il faut que j’en puisse disposer d’un moment à l’autre : ainsi, mes chers anges, il m’est impossible d’entrer dans l’entreprise luchette#1.

Je sais ce qu’ont dit certains barbares ; et, quoique je n’aie donné aucune prise, je sais ce que peut leur méchanceté. Ce n’est pas la première fois que j’ai été tenté d’aller chercher une mort paisible à quelques pas des frontières où je suis ; et je l’aurais fait, si la bonté et la justice du roi ne m’avaient rassuré.

Je n’ai pas longtemps à vivre ; mais je mourrai en remplissant tous mes devoirs, en rendant les fanatiques exécrables, et en vous chérissant autant que je les abhorre. [1]

  1. L’affaire des mines du marquis de Luchet.