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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/346

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CORRESPONDANCE.
7556. — À M. D’ALEMBERT.
24 mai.

Il y a longtemps que le vieux solitaire n’a écrit à son grand et très-cher philosophe. On lui a mandé que vous vous chargiez d’embellir une nouvelle édition de l’Encyclopédie : voilà un travail de trois ou quatre ans.


Carpent ea poma nepotes.

(Virg., ecl. ix, v. 30.)

Il est bon, mon aimable sage, que vous sachiez qu’un M. de La Bastide, l’un des enfants perdus de la philosophie, a fait à Genève le petit livre ci-joint[1], dans lequel il y a une lettre à vous adressée[2], lettre qui n’est pas peut-être un chef-d’œuvre d’éloquence, mais qui est un monument de liberté[3]. On débite hardiment ce livre dans Genève, et les prêtres de Baal n’osent parler. Il n’en est pas ainsi des prêtres savoyards. Le petit-fils de mon maçon, devenu évêque d’Annecy, n’a pas, comme vous savez, le mortier liant ; c’est un drôle qui joint aux fureurs du fanatisme une friponnerie consommée, avec l’imbécillité d’un théologien né pour faire des cheminées ou pour les ramoner. Il a été porte-Dieu à Paris, décrété de prise de corps, ensuite vicaire, puis évêque. Ce scélérat a mis dans sa tête de faire de moi un martyr. Vous savez qu’il écrivit contre moi au roi l’année passée ; mais ce que vous ne savez pas, c’est qu’il écrivit aussi au Pantalon-Rezzonico, et qu’il employa en même temps la plume d’un ex-jésuite nommé Nonotte. Il y eut un bref du pape dans lequel je suis très-clairement désigné, de sorte que je fus à la fois exposé à une lettre de cachet et à une excommunication majeure : mais que peut la calomnie contre l’innocence ? la faire brûler quelquefois, me direz-vous ; oui, il y en a des exemples dans notre sainte et raisonnable religion : mais n’ayant pas la vocation du martyre, j’ai pris le parti de m’en tenir au rôle de confesseur, après avoir été fort singulièrement confessé.

  1. Réflexions philosophiques sur le marche de nos idées. On les trouve dans le tome VIII de l’Évangile du jour. L’édition dont parle Voltaire doit être une édition séparée. (B.)
  2. Lettre d’un avocat genevois à M. d’Alembert ; elle est aussi dans le tome VIII de l’Évangile du jour.
  3. Elle est d’un avocat nommé Mallet. Cela va faire un beau bruit dand le tripot de Genève. (Note de Voltaire.)