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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/378

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CORRESPONDANCE.

nom lui fasse vendre un exemplaire de plus, il ne servirait qu’à décréditer son livre. Il y aurait de la folie à prétendre que j’ai pu m’instruire des formes judiciaires de France, et rassembler un fatras énorme de dates, moi qui suis absent de France depuis plus de vingt années, et qui ai presque toujours vécu, avant ce temps, loin de Paris, à la campagne, uniquement occupé d’autres objets.

Au reste, monsieur, si on voulait recueillir tous les ouvrages qu’on m’impute, et les mettre avec ceux que l’on a écrits contre moi, cela formerait cinq à six cents volumes, dont aucun ne pourrait être lu, Dieu merci.

Il est très-inutile encore de se plaindre de cet abus, car les plaintes tombent dans le gouffre éternel de l’oubli avec les livres dont on se plaint. La multitude des ouvrages inutiles est si immense que la vie d’un homme ne pourrait suffire à en faire le catalogue.

Je vous prie, monsieur, de vouloir bien permettre que ma lettre soit publique pour le moment présent, car le moment d’après on ne s’en souviendra plus ; et il en est ainsi de presque toutes les choses de ce monde.

7584. — À M. BORDES[1].
5 juillet.

Mon cher ami, mon cher philosophe, vos lettres valent beaucoup mieux que tous les rogatons que je vous ai envoyés. J’aurais dû être un peu moins votre bibliothécaire, et un peu plus votre correspondant. Je serais bien curieux de savoir la vérité de l’histoire de votre médecin italien : j’ai peur qu’il ne soit doublement charlatan. S’il lui prenait fantaisie de voir Genève, je vous avoue que je serais curieux de m’entretenir avec lui.

Je ne sais pas trop ce que sera le cordelier Ganganelli ; tout ce que je sais, c’est que le cardinal de Bernis l’a nommé pape, et que par conséquent ce ne sera pas un Sixte-Quint. C’est bien dommage, comme vous le dites, qu’on ne nous ait pas donné un brouillon. Il nous fallait un fou, et j’ai peur qu’on ne nous ait donné un homme sage. Plût à Dieu qu’il ressemblât au pontife de la tragédie que je vous envoie ! Les abus ne se corrigent que quand ils sont outrés. Je vous demande en grâce de ne montrer cette tragédie à personne avant de m’en avoir dit votre avis. Elle

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.