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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/393

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ANNÉE 1769.

Monseigneur sait parfaitement que nous n’avions autrefois que des érouelles dans les déserts de Gex, et que depuis qu’il y a des troupes nous avons quelque chose de plus fort. Le vieil ermite, qui, à la vérité, n’a reçu aucun de ces deux bienfaits de la Providence, mais qui s’intéresse sincèrement à tous ceux qui en sont honorés, prend la liberté de représenter douloureusement et respectueusement que le sieur Coste[1], notre médecin très-aimable, qui compte nous empêcher de mourir, n’a pas de quoi vivre, et qu’il est en ce point tout le contraire des grands médecins de Paris. Il supplie monseigneur de vouloir bien avoir pitié d’un petit pays dont il fait l’unique espérance.

7596. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[2].
Paris, ce 16 juillet 1769.

J’ai reçu deux de vos présents, monsieur, par la grand’maman. Elle a joint au dernier la copie de la lettre de M. Guillemet, où il est fait mention de moi. J’avais résolu de ne point écrire à M. Guillemet, jusqu’à ce qu’il me fît quelque agacerie ; je me souvenais qu’il m’avait dit qu’il écrivait volontiers quand il avait un thème, mais qu’il n’aimait pas à écrire quand il n’avait rien à dire. C’était une leçon qu’il me faisait ; je m’y soumettais avec peine, mais je me serais fait scrupule de ne la pas suivre. Vous avez levé l’interdiction ; ainsi, prenez-vous-en à vous-même si je vous importune.

Vos Lettres d’Amabed m’ont fait beaucoup de plaisir. La préface et l’épître dédicatoire des Guèbres ne me paraissent pas de la même main que la tragédie. La petite-fille aime toujours les vers ; mais ce sont les vers de M. Guillemet qu’elle aime. Elle trouve que les Guèbres vaudraient bien mieux s’ils parlaient en prose et du même style que la préface et l’épître dédicatoire.

Monsieur de Voltaire, ayez pitié de moi ! Tous les vivants m’ennuient ; indiquez-moi quelques morts qui puissent m’amuser. J’ai relu vingt fois les livres qui me plaisent, et je suis toujours obligée d’y revenir. Je voudrais une brochure de vous toutes les semaines. Je suis persuadée que vous pouvez fournir à cette dépense. Je crois qu’il n’y a qu’une certaine dose d’imagination pour chaque siècle, et qui est éparpillée dans les différentes nations. Vous vous en êtes emparé subitement, et n’en avez pas laissé un grain à personne. C’est donc à vous à distribuer vos richesses, et dans vos largesses il faut préférer votre bonne et ancienne amie.

La grand’maman est à Chanteloup depuis le 29 avril. Son absence a mis le comble à mes ennuis ; elle arrive mercredi, mais pour aller tout de suite

  1. Coste fut très-bien accueilli du duc de Choiseul ; on l’invita à dîner. Ses appointements, qui n’étaient que de 150 francs, furent portés à 1200 francs, et il outre une gratification de 600 francs pour son voyage.
  2. Correspondance complète avec la duchesse de Choiseul, etc., publiée par M. le marquis de Sainte-Aulaire ; Paris, 1859 et 1877.