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ANNÉE 1769.

d’esprit. Mettez-vous à leur tête, c’est votre place. Criez bien fort, ameutez les honnêtes gens contre les fripons. C’est un grand plaisir d’avoir un parti, et de diriger un peu les opinions des hommes.

Si on n’avait pas eu de courage[1], jamais Mahomet n’aurait été représenté. Je regarde les Guèbres comme une pièce sainte, puisqu’elle finit par la modération et par la clémence. Athalie, au contraire, me paraît d’un très-mauvais exemple ; c’est un chefd’œuvre de versification, mais de barbarie sacerdotale. Je voudrais bien savoir de quel droit le prêtre Joad fait assassiner Athalie, âgée de quatre-vingt-dix ans, qui ne voulait et qui ne pouvait élever le petit Joas que comme son héritier ? Le rôle de ce prêtre est abominable.

Avez-vous jamais lu, madame, la tragédie de Saül et David[2] ? On l’a jouée devant un grand roi ; on y frémissait et on y pâmait de rire, car tout y est pris mot pour mot de la sainte Écriture.

Votre grand’maman est donc toujours à la campagne ? Je suis bien fâché de tous ces petits tracas ; mais, avec sa mine et son âme douce, je la crois capable de prendre un parti ferme, si elle y était réduite. Son mari, le capitaine de dragons, est l’homme du royaume dont je fais le plus de cas. Je ne crois pas qu’on puisse ni qu’on ose faire de la peine à un si brave officier, qui est aussi aimable qu’utile.

Adieu, madame ; vivez, digérez, pensez. Je vous aime de tout mon cœur : dites à votre ami que je l’aimerai tant que je vivrai.


7623. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC[3].
7 auguste.

Je reçois, mon cher et vertueux ami, votre lettre du 1er de ce mois. Vous devez savoir que les lettres voyagent tout ouvertes, et que la vôtre a passé par Paris au lieu de passer par Limoges. Il y a un paquet adressé pour vous, à Limoges, par le coche de Lyon qui va en droiture. Il est à l’adresse du sieur Morand, trafiquant en pelleteries, pour vous être rendu. C’est par ce M. Morand

  1. Crébillon refusa comme censeur son approbation à la tragédie de Mahomet. D’Alembert eut le courage de donner la sienne ; voyez tome IV . page 95.
  2. Tome V, page 571.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.