Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
418
CORRESPONDANCE.

vie et l’honneur d’un père de famille dépendent d’un chirurgien ignorant et d’un juge idiot.

Agréez, monsieur, ma reconnaissance et tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

7636. — À MADAME D’ÉPINAI.
17 auguste.

Il y a un mois, ma belle philosophe, que le solitaire des Alpes devrait vous avoir écrit ; mais je ne fais pas toujours ce que je veux : ma santé n’est pas aussi forte que mon attachement pour vous.

Je trouve que notre cher prophète[1] est bien sage et bien habile d’avoir fait le voyage de Vienne ; il sera connu et protégé par madame la dauphine longtemps avant qu’elle parte pour Paris. Il est impossible que son mérite ne lui procure pas quelque place plus avantageuse, et il sera peut-être un jour à portée de faire un bien réel a la philosophie. Je vous prie, madame, de lui dire combien je l’approuve et combien j’espère.

On dit que les Guèbres, dont vous me parlez, rencontrent quelques difficultés sur la permission de se montrer en public. Cela est bien injuste ; mais il est à croire que cette petite persécution finira comme la pièce, par une tolérance entière. Les esprits de tous les honnêtes gens de l’Europe penchent vers cette heureuse tolérance. Il est vrai qu’on commence toujours à Paris par s’opposer à tout ce que l’Europe approuve. Notre savante magistrature condamna l’art de l’imprimerie dès qu’il parut ; tous les livres contre Aristote, toutes les découvertes faites dans les pays étrangers, la circulation du sang, l’usage de l’émétique, l’inoculation de la petite vérole ; elle a proscrit les représentations de Mahomet, elle pourrait bien en user ainsi avec les Guèbres et la Tolérance. Mais à la fin la voix de la raison l’emporte toujours sur les réquisitoires ; et puisque l’Encyclopédie a passé, les Guèbres passeront, surtout s’ils sont appuyés par le suffrage de ma belle philosophe. Il faut que les sages parlent un peu haut, pour que les sots soient enfin obligés à se taire. Je connais l’auteur des Guèbres ; je sais que ce jeune homme a travaillé uniquement dans la vue du bien public ; il m’a écrit qu’il espérait que les philosophes soutiendraient la cause commune avec quel-

  1. Grimm.