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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/452

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CORRESPONDANCE.

n’y a ni vérité dans les faits, ni pureté dans le style. Ce sont des guenilles qu’on a cousues à une bonne étoffe.

On va faire une nouvelle édition des Guèbres, que j’aurai l’honneur de vous envoyer. Criez bien fort pour ces bons Guèbres, madame : criez, faites crier, dites combien il serait ridicule de ne point jouer une pièce si honnête, tandis qu’on représente tous les jours le Tartuffe.

Ce n’est pas assez de haïr le mauvais goût, il faut détester les hypocrites et les persécuteurs ; il faut les rendre odieux, et en purger la terre. Vous ne détestez pas assez ces monstres-là. Je vois que vous ne haïssez que ceux qui vous ennuient. Mais pourquoi ne pas haïr aussi ceux qui ont voulu vous tromper et vous gouverner ? ne sont-ils pas d’ailleurs cent fois plus ennuyeux que tous les discours académiques ? et n’est-ce pas là un crime dont vous devez les punir ? Mais, en même temps, n’oubliez pas d’aimer un peu le vieux solitaire, qui vous sera tendrement attaché tant qu’il vivra.

Vous savez que votre grand’maman m’a envoyé un soulier d’un pied de roi de longueur. Je lui ai envoyé une paire de bas de soie qui entrerait à peine dans le pied d’une dame chinoise. Cette paire de bas, c’est moi qui l’ai faite ; j’y ai travaillé avec un fils de Calas. J’ai trouvé le secret d’avoir des vers à soie dans un pays tout couvert de neiges sept mois de l’année ; et ma soie, dans mon climat barbare, est meilleure que celle d’Italie. J’ai voulu que le mari de votre grand’maman, qui fonde actuellement une colonie dans notre voisinage, vit par ses yeux que l’on peut avoir des manufactures dans notre climat horrible.

Je suis bien las d’être aveugle tous les hivers ; mais je ne dois pas me plaindre devant vous. Je serais comme ce sot de prêtre qui osait crier parce que les Espagnols le faisaient brûler en présence de son empereur, qu’on brûlait aussi. Vous me diriez comme l’empereur[1] : Et moi, suis-je sur un lit de roses ?

Vous êtes malheureuse toute l’année, et moi je ne le suis que quatre mois : je suis bien loin de murmurer, je ne plains que vous. Pourquoi les causes secondes vous ont-elles si maltraitée ? pourquoi donner l’être sans donner le bien-être ? C’est là ce qui est cruel.

Adieu, madame ; consolons-nous.

  1. Empereur mexicain Guatimozin.