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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/451

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année 1769.
7658. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
6 septembre.

Je viens de faire ce que vous voulez, madame ; vous savez que je me fais toujours lire pendant mon dîner. On m’a lu un éloge de Molière qui durera autant que la langue française : C’est le Tartuffe.

Je n’ai point lu celui qui a été couronné[1] à l’Académie française. Les prix institués pour encourager les jeunes gens sont très-bien imaginés. On n’exige pas d’eux des ouvrages parfaits, mais ils en étudient mieux la langue : ils la parlent plus exactement, et cet usage empêche que nous ne tombions dans une barbarie complète.

Les Anglais n’ont pas besoin de travailler pour des prix ; mais il n’y a pas chez eux de bon ouvrage sans récompense : cela vaut mieux que des discours académiques. Ces discours sont précisément comme les thèmes que l’on fait au collège : ils n’influent en rien sur le goût de la nation. Ce qui a corrompu le goût, c’est principalement le théâtre, où l’on applaudit à des pièces qu’on ne peut lire ; c’est la manie de donner des exemples ; c’est la facilité de faire des choses médiocres, en pillant le siècle passé, et se croyant supérieur à lui.

Je prouverais bien que les choses passables de ce temps-ci sont toutes puisées dans les bons écrits du Siècle de Louis XIV. Nos mauvais livres sont moins mauvais que les mauvais qu’on faisait du temps de Boileau, de Racine et de Molière, parce que, dans ces plats ouvrages d’aujourd’hui, il y a toujours quelques morceaux tirés visiblement des auteurs du règne du bon goût. Nous ressemblons à des voleurs qui changent et qui ornent ridiculement les babils qu’ils ont dérobés, de peur qu’on ne les reconnaisse. À cette friponnerie s’est jointe la rage de la dissertation et celle du paradoxe. Le tout compose une impertinence qui est d’un ennui mortel.

Je vous promets bien, madame, de prendre toutes ces sottises en considération l’hiver prochain, si je suis en vie, et de faire voir à mes chers compatriotes que, de Français qu’ils étaient, ils sont devenus Welches.

Ce sont les derniers chapitres que vous avez lus qui sont assurément d’une autre main, et d’une main très-maladroite. Il

  1. Éloge de Molière, par Chamfort ; voyez lettres 7624 et 7679.