faucher mes prés sans offenser Dieu ; combien il est impertinent que des paysans, qui font carême toute l’année, et qui n’ont pas de quoi acheter des soles comme les évêques, ne puissent manger, pendant quarante jours, les œufs de leur basse-cour sans la permission de ces mêmes évêques. Qu’ils bénissent nos mariages, à la bonne heure[1] ; mais leur appartient-il de décider des empêchements ? tout cela ne doit-il pas être du ressort des magistrats ? et ne portons-nous pas encore aujourd’hui les restes de ces chaînes de fer dont ces tyrans sacrés nous ont chargés autrefois ? Les prêtres ne doivent que prier Dieu pour nous, et non pas nous juger.
J’attends avec impatience que vous mettiez ces vérités dans tout leur jour, avec la force de votre style, qui ne perdra rien par la sagesse de votre esprit : vous rendrez un service éternel à la France.
Vous nous ferez sortir du chaos où nous sommes, chaos que Louis XIV a voulu en vain débrouiller. Nos petits-enfants s’étonneront peut-être un jour que la France ait été composée de provinces devenues, par la législation même, ennemies les unes des autres. On ne pourra comprendre à Lyon que les marchandises du Dauphiné aient payé des droits d’entrée comme si elles venaient de Russie. On change de lois en changeant de chevaux de poste ; on perd au delà du Rhône un procès qu’on gagne en deçà.
S’il y a quelque uniformité dans les lois criminelles, elle est barbare. On accorde le secours d’un avocat à un banqueroutier évidemment frauduleux, et on le refuse à un homme accusé d’un crime équivoque.
Si un homme qui a reçu un assigné pour être ouï est absent du royaume, et s’il ignore le tour qu’on lui joue, on commence par confisquer son bien. Que dis-je ! la confiscation, dans tous les cas, est-elle autre chose qu’une rapine ? et si bien rapine, que ce fut Sylla qui l’inventa. Dieu punissait, dit-on, jusqu’à la quatrième génération[2] chez le misérable peuple juif, et on punit toutes les générations chez le misérable peuple welche. Cette volerie n’est pas connue dans votre province ; mais pourquoi réduire ailleurs des enfants à l’aumône, parce que leur père a été malheureux ? Un Welche dégoûté de la vie, et souvent avec très-grande raison, s’avise de séparer son âme de son corps ; et, pour consoler le fils, on donne son bien au roi, qui en accorde