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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/477

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année 1769.

presque toujours la moitié à la première fille d’opéra qui le fait demander par un de ses amants ; l’autre moitié appartient de droit à messieurs les fermiers généraux.

Je ne parle pas de la torture, à laquelle de vieux grands chambriers appliquent si légèrement les innocents comme les coupables. Pourquoi, par exemple, faire souffrir la torture au chevalier de La Barre ? était-ce pour savoir s’il avait chanté trois chansons contre Marie-Madeleine, au lieu de deux ? est-ce chez les Iroquois, ou dans le pays des tigres, qu’on a rendu cette sentence ? L’impératrice de Russie, de ce pays qui était si barbare il y a cinquante ans, m’a mandé qu’aujourd’hui, dans son empire de deux mille lieues, il n’y a pas un seul juge qui n’eût fait mettre aux Petites-Maisons de Russie les auteurs d’un pareil jugement ; ce sont ses propres paroles.

Puisse votre faible santé, monsieur, vous laisser achever promptement le grand ouvrage que vous avez entrepris, et que l’humanité attend de vous ! Nous avons croupi, depuis Clovis, dans la fange ; lavez-nous donc avec votre hysope, ou du moins cognez-nous le nez dans notre ordure, si nous ne voulons pas être lavés.

M. l’abbé de Ravel a dû vous dire à quel point je vous estime, je vous aime, et je vous respecte. Souffrez que je vous le dise encore dans l’effusion de mon cœur.

7681. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Rome, le 27 septembre.

On ne peut rien faire de plus, mon cher confrère, pour la perruque de votre aumônier. J’espère que monsieur l’évêque de Genève ne sera pas plus rigoureux pour lui que le saint-siège. L’attestation que vous m’avez envoyée m’a fait rire ; c’était votre intention. Il est vrai que jusqu’ici les épines sur lesquelles je marche n’ont pas blessé mes pieds. Si le pape avait un peu voyagé, s’il avait respiré un autre air que celui de Rome, il aurait des vues plus étendues, et son ton serait très-aimable. Il a tout l’esprit que la nature peut donner à un homme qui n’a connu que le cloître et les congrégations. Il veut bien vivre avec les souverains, ne point tyranniser les consciences, et souffrir avec douceur le mal qu’il ne peut empêcher. Je ne me repends pas de lui avoir donne mon suffrage, accompagné de plusieurs autres. Au surplus, ma santé a très-bien résisté aux chaleurs, et mon âme résistera encore mieux aux petites tracasseries, qui sont les fruits naturels du pays que j’habite. Quand vous ferez, quelque folie honnête, soit en vers, soit en prose, souvenez-vous de votre admirateur, et du plus fidèle de vos serviteurs et confrères.