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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/508

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CORRESPONDANCE.

est faible dès qu’il est aux prises avec l’intérêt particulier : aussi j’avoue que si je n’eusse été encouragé par la sagesse des réflexions que vous avez publiées de temps à autre à ce sujet, et le ridicule que vous avez jeté sur l’usage opposé, je n’eusse jamais surmonté l’opiniâtre résistance de nos ecclésiastiques : il n’a pas dépendu d’eux que je ne passasse pour impie, mauvais chrétien, etc. Je viens cependant de réussir, et mon premier soin est de remercier celui à qui je reconnais que nos habitants doivent ce bienfait. J’en suis d’autant plus glorieux que j’ai vu le parlement de Paris s’arrêter, à ce sujet, aux oppositions du clergé.

C’est à vous, monsieur, que la raison doit la supériorité qu’elle prend tous les jours sur les préjugés ; mais que ses progrès sont lents lorsqu’elle attaque des pratiques superstitieuses ! La mendicité vient d’être défendue en France ; les maréchaussées ont des ordres sévères à cet égard, cependant je vois une foule de mendiants sous mes yeux mettre impunément à contribution les villes et les campagnes, et faire parade de leur oisiveté comme d’une vertu. Est-ce pour les favoriser qu’on enlève les véritables pauvres ?

J’ai l’honneur d’être, etc.

M.D.
7715. — DE CATHERINE II[1],
impératrice de russie.
À Saint-Pétersbourg, 13-24 novembre 1769.

Monsieur, nous sommes si loin d’être chassés de la Moldavie et de Chotin, comme la Gazette de France l’a annoncé, qu’il n’y a que quelques jours que j’ai reçu la nouvelle de la prise de Galatzo, place fortifiée sur le Danube, où un sérasquier et un bacha ont été tués, au dire des prisonniers. Mais ce qu’il y a de bien vérifié, c’est qu’entre ces derniers se trouve le prince de Moldavie Maurocordato. Trois jours après, nos troupes légères amenèrent de Boucharest, capitale de la Valachie, le prince ou hospodar de celle-ci, Grégoire Gika, à Yassi, au lieutenant-général Stoffeln, qui y commande. Ces deux princes passeront leur carnaval à Pétersbourg. Boucharest est occupé par nos troupes. Il ne reste plus guère de postes aux Turcs dans la Moldavie de ce côté-ci du Danube.

Je vous mande, monsieur, tous ces détails afin que vous voyiez, et puissiez juger de l’état des choses, qui assurément n’ont point un aspect affligeant pour tous ceux qui, comme vous, veulent bien s’intéresser à mes affaires.

Je crois ma flotte à Gibraltar, si elle n’a point encore franchi ce détroit : vous saurez à présent plus tôt de ses nouvelles que moi. Moustapha est aussi humain que spirituel et victorieux. Il doit avoir déclaré qu’en cas de révolte il exterminerait sa race. Voilà une résolution qui fait frémir. Que Dieu le conserve ! il conduit bien ses affaires. Ses amitiés, ses liaisons, tout y con-

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances relatifs à l’histoire de l’empire de Russie, etc., tome X, page 397.