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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/509

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année 1769.

tribue : son gouvernement est si aimé de ses sujets que les habitants de Galatzo se joignirent, au moment même de la prise, à nos troupes pour courir sur le misérable reste des Turcs, qui fuyaient à toutes jambes.

Voilà, monsieur, ce que j’avais à vous dire en réponse à votre lettre, remplie d’amitiés, du 28 novembre. Je vous prie de me continuer vos sentiments, dont je fais un si grand cas, et d’être assuré des miens.

Catherine.
7716. — DE FREDERIC II, ROI DE PRUSSE.
Postdam, 25 novembre.

Vous avez trop de modestie, si vous avez pu croire qu’un silence comme celui que vous avez gardé pendant deux ans peut être supporté avec patience. Non, sans doute. Tout homme qui aime les lettres doit s’intéresser à votre conservation, et être bien aise quand vous-même lui en donnez des nouvelles. Que des Suisses s’établissent à Clèves, ou qu’ils restent à Genève, ce n’est pas ce qui m’intéresse ; mais bien de savoir ce que tait le héros de la raison, le Prométhée de nos jours, qui apporta la lumière céleste pour éclairer les aveugles, et les désabuser de leurs préjugés et de leurs erreurs.

Je suis bien aise que des sottises anglaises vous aient ressuscité : j’aimerais les extravagants qui feraient de pareils miracles. Cela n’empêche pas que je ne prenne l’auteur anglais pour un ancien Picte qui ne connaît pas l’Europe. Il faut être bien nouveau pour vous traduire en père de l’Église, qui par pitié de mon âme travaille a ma conversion. Il serait à souhaiter que vos évêques français eussent une pareille opinion de votre orthodoxie : vous n’en vivriez que plus tranquille.

Quant au Grand Turc, on le croit très-orthodoxe a Rome comme à Versailles. Il combat, à ce que ces messieurs prétendent, pour la foi catholique, apostolique et romaine. C’est le Croissant qui défend la Croix, qui soutient les évêques et les confédérés de Pologne contre ces maudits hérétiques, tant grecs que dissidents, et qui se bat pour la plus grande gloire du très-saint-père. Si je n’avais pas lu l’histoire des croisades dans vos ouvrages[1], j’aurais peut-être pu m’abandonner à la folie de conquérir la Palestine, de délivrer Sion, et cueillir les palmes d’Idumée ; mais les sottises de tant de rois et de paladins qui ont guerroyé dans ces terres lointaines m’ont empêché de les imiter, assuré que l’impératrice de Russie en rendrait bon compte. Je borne mes soins à exhorter messieurs les confédérés à l’union et à la paix, à leur marquer la différence qu’il y a entre persécuter leur religion et exiger d’eux qu’ils ne persécutent pas les autres : enfin je voudrais que l’Europe fut en paix, et que tout le monde fut content. Je crois que j’ai hérite ces sentiments de feu l’abbé de Saint-Pierre ; et il pourra m’arriver comme à lui de demeurer le seul de ma secte.

  1. Dans l’Essai sur les Mœurs, chapitre liii et suivants ; voyez tome XI, page 435.