jamais eu le bonheur de courtiser aucune Marseillaise. Le Journal encyclopédique m’avait déjà attribué ces vers, dans lesquels je promets à Mlle Chéré que
L’amour unira nos personnes.
Je ne sais point quelles sont ces Tisiphones : mais je vous jure que jamais la personne de Mlle Chéré n’a été unie à la mienne ni ne le sera.
Soyez bien sûr encore que je n’ai jamais fait rimer Tisiphone, qui est long, à personne, qui est bref. Autrefois, quand je faisais des vers, je ne rimais pas trop pour les yeux, mais j’avais grand soin de l’oreille.
Soyez très-persuadé, monsieur, que mon barbare sort ne m’a jamais ôté la lumière des yeux de Mlle Chéré, et que je n’erre point dans ma triste carrière. Je suis si loin d’errer dans ma carrière que depuis deux ans je sors très-rarement de mon lit, et que je ne suis jamais sorti de celui de Mlle Chéré. Si je m’y étais mis, elle aurait été bien attrapée.
Je prends cette occasion pour vous dire qu’en général c’est une chose fort ennuyeuse que cet amas de rimes redoublées qui ne disent rien, ou qui répètent ce qu’on a dit mille fois. Je ne connais pas l’amant de votre gentille Marseillaise, mais je lui conseille d’être un peu moins prolixe.
D’ailleurs, toutes ces épîtres à Aglaure, à Flore, à Phyllis, ne sont guère faites pour le public : ce sont des amusements de société. Il est quelquefois aussi ridicule de les livrer au libraire qu’il le serait d’imprimer ce qu’on a dit dans la conversation.
MM. Cramer m’ont rendu un très-mauvais service, en publiant les fadaises de ce goût qui me sont souvent échappées. Je leur ai écrit cent fois de n’en rien faire. Les vers médiocres sont ce qu’il y a de plus insipide au monde. J’en ai fait beaucoup, comme un autre ; mais je n’y ai jamais mis mon nom, et je ne le mettais à aucun de mes ouvrages. Je suis très-fâché qu’on me rende responsable, depuis si longtemps, de ce que j’ai fait et de ce que je n’ai point fait ; cela m’est arrivé dans des choses plus sérieuses. Je ne suis qu’un vieux laboureur réformé à la suite des Éphémérides du Citoyen, défrichant des campagnes arides, et semant avec le semoir, n’ayant nul commerce avec Mlle Chéré, ni avec aucune Tisiphone, ni avec aucune personne de son espèce agréable.