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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/523

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année 1769.

est très-bien disposé en sa faveur, et il espère qu’il obtiendra des dédommagements.

Si le solitaire se portait mieux, il pourrait faire donner les étrivières au carme ; mais il est trop malade pour entrer dans ces petites discussions. La sottise et l’insolence du carme auraient été dangereuses au xive siècle ; mais, dans celui-ci, on peut prendre le parti d’en rire. Je me trouve d’ailleurs entre le bon et le mauvais larron, entre Bayle et Jean-Jacques.

Mon cher philosophe rendra un grand service à la jurisprudence et à la nation, en continuant à son loisir l’ouvrage qu’il a commencé. Il est prié de mettre une grande marge à la copie.

Mme Denis et moi nous vous souhaitons la bonne année ; nous aurions bien voulu la finir et la commencer avec vous.

7732. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 11 décembre.

Je vous dois, mon cher et illustre maître, des remerciements pour la tragédie des Guèbres, que j’ai reçue il y a quelque temps de votre part. Je souhaiterais fort que cette pièce pût être représentée ; elle achèverait peut-être, sur les esprits des Welches, l’ouvrage que la tragédie de Mahomet avait déjà commencé, celui d’inspirer l’horreur de l’intolérance et du fanatisme ; mais trop de gens, mon cher philosophe, sont intéressés à empêcher le progrès de la raison. Toutes les fois qu’on veut aujourd’hui rendre ridicules ou odieux des prêtres, de quelque secte que ce soit, les nôtres regardent au dedans d’eux-mêmes, et se disent, en grinçant les dents :


· · · · · Mutato nomine, de me
Fabula narratur.

(Hor., lib. I, sat. i, v. 69-70.)

Quant à la préface de cette tragédie, je suis depuis longtemps entièrement de votre avis sur Athalie. J’ai toujours regardé cette pièce comme un chef-d’œuvre de versification, et comme une très-belle tragédie de collège. Je n’y trouve ni action ni intérêt : on ne s’y soucie de personne, ni d’Athalie, qui est une méchante carogne, ni de Joad, qui est un prêtre insolent, séditieux et fanatique ; ni de Joas même, que Racine a eu la maladresse de faire entrevoir en deux endroits comme un méchant garnement futur. Je suis persuadé que les idées de religion dont nous sommes imbus dès l’enfance contribuent, sans que nous nous en apercevions, au peu d’intérêt qui soutient cette pièce : et que si on changeait les noms, et que Joad fût un prêtre de Jupiter ou d’Isis, et Athalie une reine de Perse ou d’Égypte, cette pièce serait bien froide au théâtre. D’ailleurs à quoi sert toute cette prophétie de Joad, qu’à faire languir l’action, qui n’est pas déjà trop animée ? Je crois en