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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/545

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année 1769.

feu l’abbé de Châteauneuf, mort il y a plus de soixante ans. Je vous envoie une copie que j’ai faite sur-le-champ, à la réception de vos ordres. Mon manuscrit est bien meilleur que celui de Thieriot, plus ample, plus correct, beaucoup plus plaisant à mon gré, et purgé surtout des expressions qui pourraient présenter la moindre idée de dévotion, et par conséquent de scandale. Je ne sais si vous trouverez la pièce passable ; elle est bien différente du goût d’aujourd’hui ; ce n’est point du tout une tragi-comédie de Lachaussée ; elle m’a paru tenir un peu de l’ancien style : mais on ne rit plus, et on ne veut plus rire.

Si vous supposez pourtant, vous et Mme d’Argental, qu’on puisse encore aller à la comédie pour s’épanouir la rate ; si vous trouvez dans cette pièce des mœurs vraies et quelque chose de plaisant, alors on pourra la faire jouer. Il n’y aura nulle difficulté du côté de la police ; mais, en ce cas, il faudrait envoyer chercher Thieriot, et lui donner copie de la copie que je vous envoie, en lui recommandant le secret : il est intéressé à le garder. Je lui envoyai ce rogaton il y a quelques mois, pour lui aider à faire ressource ; et comme je lui mandais que tous les émoluments ne seraient pas pour lui[1], il se pourrait bien faire aussi que votre protégé Lekain en retirât quelque avantage.

Je ne sais point où demeure Thieriot, qui change de gîte tous les six mois, et qui ne m’a point écrit depuis plus de quatre. On peut s’informer de sa demeure chez le secrétaire de M. d’Ormesson, nommé Faget de Villeneuve ; voilà tout ce que j’en sais.

Je vous avertis que je prends la liberté d’envoyer à M. le duc de Praslin la pièce de l’abbé de Châteauneuf : il la lira s’il veut, et sera dans le secret pour se dépiquer des belles manières des Anglais et de messieurs de Tunis. Je lui écris en même temps pour le remercier de ses bontés pour les vingt-six diamants qui courent grand risque d’être perdus, attendu que les marchands n’ont rien fait en forme juridique.

J’ignore encore si on osera faire jouer à Toulouse la tragédie de la Tolérance[2] ; ce serait prêcher l’Alcoran à Rome. Je sais seulement qu’on la répète actuellement à Grenoble ; mais il n’est pas bien sûr qu’on l’y joue.

Nous me feriez plaisir, mon cher ange, de m’apprendre si M. le maréchal de Richelieu va a Bordeaux, comme on me l’a

  1. Il ne le dit pas dans la lettre 7625, d’où l’on peut conclure qu’il manque une lettre.
  2. Les Guèbres ; voyez tome VI, page 483.