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ANNÉE 1768.

veux, et qui, au lieu d’ordonner à l’Yvette de couler dans toutes les maisons de Paris, dépensa tant de millions au canal inutile[1] de Maintenon.

Comment les Parisiens ne sont-ils pas un peu piqués d’émulation, quand ils entendent dire que presque toutes les maisons de Londres ont deux sortes d’eau qui servent à tous les usages ? Il y a des bourses très-fortes à Paris, mais il y a peu d’âmes fortes. Cette entreprise serait digne du gouvernement ; il taille aux Parisiens leurs morceaux comme à des enfants à qui on ne permet pas de mettre la main au plat ; mais le gouvernement[2]


    de l’Académie des sciences et auteur célèbre des Tables de probabilité de la durée de la vie humaine.


    « Aussi la municipalité de Paris, reconnaissante même d’une entreprise non réalisée, a donné le nom de ce savant à l’une des rues de la grande cité : c’était justice, car Deparcieux est mort victime de son zèle désintéressé pour le bien public.

    « Le 13 novembre 1762, Deparcieux lut, en assemblée générale de l’Académie des sciences, un Mémoire sur la possibilité d’amener à Paris, à la même hauteur à laquelle arrivent les eaux d’Arcueil, mille à douze cents pouces d’eau, belle et de bonne qualité, par un chemin facile et par un seul canal ou aqueduc.

    « Ce hardi projet, longtemps élaboré, consistait à conduire à l’endroit le plus élevé de Paris, par un canal de six à sept lieues de long, la petite rivière de l’Yvette, pour être distribuée, de là, dans tous les quartiers, afin d’en laver perpétuellement les rues, toujours trop infectées, et rendre par ce moyen l’air salubre. C’était, ajoutent les chroniqueurs du temps, renouveler en quelque sorte la magnificence de l’ancienne Rome ».

    « Les eaux de l’Yvette avaient été analysées par d’éminents chimistes, et la de médecine elle-même avait jugé, le 10 novembre 1766, que ces eaux pouvaient fournir une boisson salubre aux habitants de Paris ».

    « L’attention publique fut naturellement dirigée pendant quelque temps vers ce projet, et le mémoire précité fut reçu comme il méritait de l’être par les citoyens éclairés ; mais ceux dont ce projet contrariait les vues usèrent de leur influence pour le faire échouer. De sorte que Deparcieux fit en vain appel au souverain, aux capitalistes, à la municipalité ; il ne reçut de toutes parts que de platoniques encouragements, son projet fut enfin approuvé en principe ; mais il était trop tard : le chagrin avait tué Deparcieux.

    « De sa retraite de Ferney, Voltaire, l’épistolier par excellence, daigna s’intéresser au projet de Deparcieux, et lui écrivit sur ce sujet deux lettres qui ont été reproduites dans les recueils de sa volumineuse correspondance.

    « La seconde en date est du 17 juin 1768.

    « Un heureux hasard nous a fait découvrir, dans la bibliothèque du ministère des finances, avant l’incendie du mois de mai 1871, qui a détruit cette précieuse collection, et parmi plusieurs brochures de Deparcieux, une copie manuscrite2 du temps de cette seconde lettre. « Notre copie est plus complète que les textes imprimés ; elle renferme notamment un post-scriptum relatif à Delalande. »


    1. Né près de Nîmes en 1703, mort à Paris le 2 septembre 1768. Successivement membre de l’Académie des sciences de Montpellier, de Paris, de Berlin, de Stockholm. Il demeurait à Paris, rue de Bourbon (faubourg Saint-Germain), No 36.

    2. Cette copie avait été faite, sans nul doute, d’après l’original. En tête se trouvait ces mots : Coppie d’une lettre de Voltaire à M. Deparcieux.

  1. Inutile n’est pas dans Beuchot.
  2. Ces mots, depuis il taille, jusqu’à a-t-il six millions, ne sont pas dans Beuchot.