nos sentiments beaucoup plus de délicatesse, plus de bienséance dans nos mœurs, et plus de finesse dans notre goût. Laissez-nous notre théâtre, laissez aux Italiens leurs favole boscareccie ; vous êtes assez riches d’ailleurs.
De très-mauvaises pièces, il est vrai, ridiculement intriguées, barbarement écrites, ont pendant quelque temps à Paris des succès prodigieux, soutenus par la cabale, l’esprit de parti, la mode, la protection passagère de quelques personnes accréditées. C’est l’ivresse du moment ; mais en très-peu d’années l’illusion se dissipe. Don Japhet d’Arménie et Jodelet[1] sont renvoyés à la populace, et le Siège de Calais[2] n’est plus estimé qu’à Calais.
Il faut que je vous dise encore un mot sur la rime que vous nous reprochez. Presque toutes les pièces de Dryden sont rimées ; c’est une difficulté de plus. Les vers qu’on retient de lui, et que tout le monde cite, sont rimés : et je soutiens encore que Cinna, Athalie, Phèdre, Iphigènie, étant rimées, quiconque voudrait secouer ce joug, en France, serait regardé comme un artiste faible qui n’aurait pas la force de le porter.
En qualité de vieillard, je vous dirai une anecdote. Je demandais un jour à Pope[3] pourquoi Milton n’avait pas rimé son poëme, dans le temps que les autres poëtes rimaient leurs poëmes, à l’imitation des Italiens ; il me répondit : Because he could not.
Je vous ai dit, monsieur, tout ce que j’avais sur le cœur. J’avoue que j’ai fait une grosse faute, en ne faisant pas attention que le comte Leicester[4] s’était d’abord appelé Dudley ; mais, si vous avez la fantaisie d’entrer dans la chambre des pairs et de changer de nom, je me souviendrai toujours du nom de Walpole avec l’estime la plus respectueuse.
Avant le départ de ma lettre, j’ai eu le temps, monsieur, de lire votre Richard III. Vous seriez un excellent attorney general. Vous pesez toutes les probabilités ; mais il paraît que vous avez une inclination secrète pour ce bossu. Vous voulez qu’il ait été beau garçon, et même galant homme. Le bénédictin Calmet a fait une dissertation pour prouver que Jésus-Christ avait un fort beau visage. Je veux croire avec vous que Richard III n’était ni si laid ni si méchant qu’on le dit ; mais je n’aurais pas voulu avoir affaire à lui. Votre rose blanche et votre rose rouge avaient de terribles épines pour la nation.