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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/266

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CORRESPONDANCE.

Je ne sais pas ce que pense Moustapha sur cette affaire ; je pense qu’il ne pense pas, et qu’il vit à la façon de quelques Moustaphas de son espèce. Pour l’impératrice de Russie et la reine de Suède votre sœur, le roi de Pologne, le prince Gustave, etc., j’imagine que je sais ce qu’ils pensent. Vous m’avez flatté aussi que l’empereur était dans la voie de la perdition ; voilà une bonne recrue pour la philosophie. C’est dommage que bientôt il n’y ait plus d’enfer ni de paradis : c’était un objet intéressant ; bientôt on sera réduit à aimer Dieu pour lui-même, sans crainte et sans espérance, comme on aime une vérité mathématique ; mais cet amour-là n’est pas de la plus grande véhémence on aime froidement la vérité.

Au surplus, votre abominable homme n’a point de démonstration, il n’a que les plus extrêmes probabilités. Il faudrait consulter Ganganelli ; on dit qu’il est bon théologien : si cela est, les apparences sont qu’il n’est pas un parfait chrétien ; mais le madré ne dira pas son secret ; il fait son pot à part, comme le disait le marquis d’Argenson d’un des rois de l’Europe.

S’il n’y a rien de démontré qu’en mathématiques, soyez bien persuadé, sire, que, de toutes les vérités probables, la plus sûre est que votre gloire ira à l’immortalité, et que mon respectueux attachement pour vous ne finira que quand mon pauvre et chétif être subira la loi qui attend les plus grands rois comme les plus petits Welches.

8088. — À M. D’ALEMBERT.
23 novembre.

De tous les malades, mon cher philosophe, le plus ambulant c’est vous, et le plus sédentaire c’est moi.

J’ai d’abord à vous dire que votre archevêque de Toulouse, si tolérant, a fait mourir par son intolérance le pauvre abbé Audra, l’intime ami de l’abbé Mords-les et le mien. Il a fait un mandement cruel contre lui[1], et a sollicité sa destitution de la place de professeur en histoire, qui lui valait plus de mille écus par an. Cette aventure a donné la fièvre et le transport au pauvre abbé ; il est mort au bout de quatre jours : je viens d’en apprendre la nouvelle ; on me l’avait cachée pendant plus de six semaines[2]. Vous voyez, mon cher ami, que les philosophes n’ont pas beau jeu en France.

  1. Voyez tome XI, page 497.
  2. Voyez tome XLVI, page 235.