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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/271

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ANNÉE 1770.

vous ai point écrit depuis la mort de M. Damilaville, notre ami ; il se chargeait de mes lettres et de mes remerciements.

Il y a toujours dans vos vers des morceaux pleins d’esprit et d’imagination ; on se plaint seulement de la profusion qui empêche qu’on ne retienne les morceaux les plus marqués. Vous trouverez ma lettre bien courte, pour tant de beaux vers dont vous m’avez honoré ; mais pardonnez à un malade qui est absolument hors de combat, et qui sent tout votre mérite beaucoup plus qu’il ne peut vous l’exprimer.

8093. — À M. DELISLE DE SALES[1].
25 novembre.

Je suis bien sûr, monsieur, que vos Mélanges sur Suétone me donneront autant de plaisir que votre dernier ouvrage, et que j’y trouverai partout la main du philosophe.

Je mets une différence essentielle entre la Philosophie de la Nature et le Système de la Nature. Il y a, j’en conviens, deux ou trois chapitres éloquents dans le Système, mais tout le reste est déclamation et répétition. L’auteur suppose tout, et ne prouve rien. Son livre est fondé sur deux grands ridicules : l’un est la chimère que la matière non pensante produit nécessairement la pensée, chimère que Spinosa même n’ose admettre : l’autre, que la nature peut se passer de germes. Je ne vois pas que rien ait plus avili notre siècle que cette énorme sottise. Maupertuis fut le premier qui adopta la prétendue expérience du jésuite anglais Needham, qui crut avoir fait, avec de la farine de seigle, des anguilles qui, le moment d’après, engendraient d’autres anguilles. C’est la honte éternelle de la France que des philosophes, d’ailleurs instruits, aient fait servir ces inepties de base à leurs systèmes.

Vous êtes bien loin, monsieur, de tomber dans de pareils travers ; et je n’ai vu, dans votre livre, que du génie, du goût, des connaissances et de la raison. Vous vous défiez, sans doute, de tout ce que rapportent des

  1. Jean-Baptiste-Claude Isoard, connu sous le nom de Delisle de Sales, né à Lyon en 1743, mort le 22 septembre 1816. Sa Philosophie de la Nature avait paru en 1769, trois volumes in-12 ; 1774, six volumes in-8° ; 1777, six volumes in-8°. Cette édition fut condamnée par sentence du Châtelet du 21 mars 1777. L’Histoire des douze Césars de Suétone, traduite en français par H. Ophellot de La Pause avec des mélanges philosophiques et des notes, est en quatre volumes in-8°, porte millésime 1771.