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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/334

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CORRESPONDANCE.

propos. On me dit que monseigneur le duc de Bouillon me doit cinq années de mes rentes ; c’est ce que j’ignore entièrement. Tout ce que je sais, c’est que je me trouve dans la situation la plus triste, ayant fondé dans mes déserts une colonie et des manufactures assez considérables, que M. le duc de Choiseul avait protégées avec la plus grande générosité. Je me trouve à présent sur le point d’être ruiné avec elles, si on ne me paye point ce qu’on me doit.

Je vous demande en grâce de vouloir bien prendre un peu mon parti auprès de M. Berard[1]. Il faut que je fournisse de l’or tous les jours à mes colons qui travaillent en horlogerie. Je leur ai établi un commerce en Espagne, en Turquie et en Russie ; tout cela va tomber si je ne suis pas secouru.

Monseigneur le duc de Bouillon fera subsister deux cents personnes, s’il ordonne à M. Berard de me payer tout ce qui m’est dû. Je vous supplie, monsieur, de lui présenter mes respects et mes besoins. Je compte sur sa générosité et sur sa justice, comme sur la vôtre.

J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments que je vous dois, etc.

8177. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU[2].
À Ferney, 14 janvier, à quatre heures après midi.

Je reçois la lettre de mon héros. La poste va partir. J’ai à peine le temps de vous dire, monseigneur, que la plus grande grâce que vous puissiez me faire est de ne me point donner pour confrère un homme dont j’ai à me plaindre si cruellement[3]. Je me suis tu, quand il n’a fait qu’abuser de ma confiance et me tromper de la manière la plus indigne dans des affaires d’intérêt, qui sont publiques dans toute la province où son caractère est très-connu. Mais, dans la crainte que je ne lui fisse un procès, il m’a menacé de me dénoncer comme auteur d’un livre que je n’ai point fait. Jugez quelle douleur ce serait pour moi de me voir à son côté, et s’il est digne d’être au vôtre ! Je me flatte que vous ne voudrez pas, après cinquante ans d’attachement, me donner une pareille mortification. Je vous conjure de

  1. Capitaine de vaisseau dans la compagnie des Indes, qui disparut et lui emporta beaucoup d’argent.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.
  3. Le président de Brosses.