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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/343

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ANNÉE 1770.

lui aie écrit une épître[1] qu’il ne lira pas. Que Votre Majesté impériale jouisse longtemps de sa gloire et de son bonheur !

Sans les soixante-dix-huit ans qui me talonnent, Apollon m’est témoin que je n’aurais pas établi une colonie d’horlogers dans mon village. Elle serait actuellement vers Astracan, où je l’aurais conduite ; elle ne travaillerait que pour Votre Majesté.

Ma colonie fait réellement d’excellents ouvrages ; elle vous en fera parvenir quelques-uns incessamment, et vous verrez qu’on ne peut travailler mieux ni à meilleur compte. Vous dépensez trop en canons et en vaisseaux pour ne pas joindre à vos magnificences une juste économie, qui est au fond la source de la grandeur.

Vivez, régnez, madame, pour la gloire de la Russie, et pour l’exemple du monde.

Que Votre Majesté impériale daigne conserver ses bontés à son admirateur et à son sujet par le cœur. Je reçois dans ce moment la lettre dont Votre Majesté impériale m’honore, du 12 décembre, vieux style. Je me doutais bien que la lettre de l’ambassadeur d’Angleterre en Turquie était de l’imagination d’un pensionnaire de nos gazetiers. Je remercie plus que jamais vos bontés, qui me fournissent de quoi faire taire nos badauds welches.

Quoi ! ce brutal de Sardanapale turc veut encore faire une campagne ! ah ! madame, Dieu soit béni ! il ne vous faudra qu’une seule victoire sur le chemin d’Andrinople pour détrôner cet homme indigne du trône, et que j’ai entendu vanter par quelques-uns de nos Welches comme un génie. Mais où ira-t-il ? Voilà un Ali-bey ou beg qui ne le recevra pas dans le pays d’Osiris ; voilà un bacha d’Arc qui se révolte. Il y a une destinée ; la vôtre est sensible. Votre empire est dans la vigueur de son accroissement, et celui de Moustapha dans sa décadence ; le chevalier de Tott ne le sauvera pas dans sa ruine.

Je me mets aux pieds de Votre Majesté impériale, plein de joie et d’espérance, avec le plus profond respect, et la reconnaissance la plus vive.

L’Ermite de Ferney.
  1. Tome X, page 412.