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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/366

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CORRESPONDANCE.

Je voudrais vous accompagner, madame, dans votre voyage, mais mon triste état ne me permet pas de me remuer ; et d’ailleurs je n’ai pas le bonheur d’être de ce pays que vous aimez, et où l’on va coucher chez qui l’on veut. Tout ce que je puis faire, c’est de vous être dévoué comme à vos amis ; on ne s’est point encore avisé de nous défendre ce sentiment-là.

Portez-vous bien, écrivez-moi tout ce qu’il vous plaira, et conservez-moi un peu d’amitié.

8211. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, 15 février.

Sire, tandis que vos bontés me donnent des louanges[1] qui me sont si légitimement dues sur mon orthodoxie et sur mon tendre amour pour la religion catholique, apostolique et romaine, j’ai bien peur que mon zèle ardent ne soit pas approuvé par les principaux membres de notre sanhédrin infaillible. Ils prétendent que je me mets à genoux devant eux pour leur donner des croquignoles, et que je les rends ridicules avec tout le respect possible. J’ai beau leur citer la belle préface d’un grand homme[2], qui est au devant d’une histoire de l’Église très-édifiante, ils ne reçoivent point mon excuse ; ils disent que ce qui est très-bon dans le vainqueur de Rosbach et de Lissa n’est pas tolérable dans un pauvre diable qui n’a qu’une chaumière entre un lac et une montagne, et que quand je serais sur la montagne du Thabor en habits blancs, je ne viendrais pas à bout de leur ôter la pourpre dont ils sont revêtus. Nous connaissons, disent-ils, vos mauvais sentiments et[3] vos mauvaises plaisanteries. Vous ne vous êtes pas contenté de servir un hérétique, vous vous êtes attaché depuis peu à une schismatique[4] ; et si on vous en croyait, le pouvoir du pape et celui du Grand-Turc seraient bientôt resserrés dans des bornes fort étroites.

Vous ne croyez point aux miracles, mais sachez que nous en faisons. C’en est déjà un fort grand que nous ayons engagé votre héros hérétique à protéger les jésuites.

C’en est un plus grand encore que notre nonce en Pologne

  1. Voyez lettre 8190.
  2. Frédéric lui-même.
  3. Ces mots : « vos mauvais sentiments et, » omis par Beuchot, sont tirés de l’édition de Kehl.
  4. Catherine II.