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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/378

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CORRESPONDANCE.

couché sur le dos, avec un cataplasme sur le pied. C’est une chose bien plaisante que la goutte, et qui confond terriblement l’art prétendu de la médecine. Comment se peut-il faire que la douleur passe tout d’un coup d’un doigt de la main gauche à l’orteil du pied droit, sans qu’on sente le moindre effet de ce passage dans le reste du corps ? Quand les médecins m’expliqueront cette transmigration, et qu’ils y remédieront, je croirai en eux.

On dit que nous allons avoir un nouveau code ; nous en avons grand besoin. Cette réforme immortaliserait le règne du roi. Il est surtout bien à désirer qu’on ne voie plus de jugements semblables à ceux du lieutenant général Lally et du chevalier de La Barre, qui n’ont pas fait honneur à la France dans le reste de l’Europe. J’avoue encore que je ne sais rien de si ridicule que la rage d’entacher[1] ; il y a eu des choses plus odieuses du temps de la Fronde, mais rien de plus impertinent. On croit que c’est à l’Opéra-Comique que la nation est folâtre ; on se trompe, c’est à la cohue des enquêtes, et le parterre juge beaucoup mieux qu’elle.

C’est trop raisonner pour un pauvre aveugle ; j’ai presque perdu la vue dans mes neiges ; je ne pourrai plus voir mon héros, mais je lui serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie avec le plus tendre respect.

8224. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[2].
Paris, 27 février 1771.

Non, monsieur, la grand’maman n’a reçu de lettre d’aucun patron, si ce n’est de ceux qu’elle a en paradis, et dont elle ne m’a pas fait part ; car pour ceux de l’enfer de ce monde, elle n’en entend point parler. Elle est tranquille dans sa solitude, qui n’avait été fréquentée que par ses plus proches parents, jusqu’à dimanche dernier que deux officiers suisses ont obtenu la permission d’aller trouver le maître de la maison, avec qui ils avaient un travail à faire. M. le prince de Tingry, pour une semblable raison, a obtenu aussi la même permission, et de plus celle d’y mener sa femme, qui a sollicité vivement cette grâce, en disant qu’elle avait beaucoup d’obligation à la grand’maman, qu’elle désirait passionnément de lui donner cette marque de sa reconnaissance.

M. de Beauvau est allé aujourd’hui à la cour pour solliciter la même permission ; on lui avait fait espérer qu’on la lui accorderait au bout d’un certain temps. Il a pour raison la parenté proche et de grandes obligations.

  1. Le parlement avait déclaré que le duc d’Aiguillon était entaché.
  2. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.