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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/380

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CORRESPONDANCE.

moi des vœux indiscrets. J’aime et j’admire toujours de tout mon cœur mon cher confrère.

8226. ‑ À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, 1er mars.

Sire, il n’est pas juste que je vous cite comme un de nos grands auteurs[1] sans vous soumettre l’ouvrage dans lequel je prends cette liberté : j’envoie donc à Votre Majesté l’épître contre Moustapha. Je suis toujours acharné contre Moustapha et Fréron. L’un étant un infidèle, je suis sûr de faire mon salut en lui disant des injures ; et l’autre étant un sot et très-mauvais écrivain, il est de plein droit un de mes justiciables.

Il n’y a rien, à mon gré, de si étonnant, depuis les aventures de Rosbach et de Lissa, que de voir mon impératrice envoyer du fond du Nord quatre flottes aux Dardanelles. Si Annibal avait entendu parler d’une pareille entreprise, il aurait compté son voyage des Alpes pour bien peu de chose.

Je haïrai toujours les Turcs oppresseurs de la Grèce, quoiqu’ils m’aient demandé depuis peu des montres de ma colonie. Quels plats barbares ! Il y a soixante ans qu’on leur envoie des montres de Genève, et ils n’ont pas su encore en faire : ils ne savent pas même les régler.

Je suis toujours très-fâché que Votre Majesté, et l’empereur, et les Vénitiens, ne se soient pas entendus avec mon impératrice pour chasser ces vilains Turcs de l’Europe : c’eût été la besogne d’une seule campagne ; vous auriez partagé chacun également. C’est un axiome de géométrie qu’ajoutant choses égales à choses égales, les tous sont égaux ; ainsi vous seriez demeurés précisément dans la situation où vous êtes.

Je persiste toujours à croire que cette guerre était bien plus raisonnable que celle de 1756, qui n’avait pas le sens commun ; mais je laisse là ma politique, qui n’en a pas davantage, pour dire à votre Majesté que j’espère faire ma cour après Pâques, dans mon ermitage, aux princes de Suède vos neveux, dont tout Paris est enchanté. On parle beaucoup plus d’eux que du parlement. Deux princes aimables font toujours plus d’effet que cent quatre-vingts pédants en robe.

On m’a dit[2] que d’Argens est mort ; j’en suis très-fâché ; c’était

  1. Vers 55 de l’Épître à l’impératrice de Russie ; voyez tome X, page 437.
  2. Cette manière d’annoncer au roi la mort du marquis d’Argens paraît singulière après la lettre à la marquise d’Argens (n° 8192). (B.)