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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/465

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ANNÉE 1771.

teront encore longtemps, malgré les armes victorieuses des Russes.

Dans ma solitude, entre les Alpes et le mont Jura, je ne puis amuser Votre Excellence par des nouvelles que vous avez sans doute de Paris. S’il y avait quelques livres nouveaux imprimés à Genève qui pussent occuper vos moments de loisir, je m’offrirais à être votre commissionnaire, et vous verriez, par mon zèle et par mon exactitude, combien vos ordres me seraient chers.

J’ai l’honneur d’être, etc.

8312. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
17 juin.

Madame, quoiqu’on ne m’écrive guère de Babylone, et que j’écrive encore moins, on m’a mandé que vous étiez malade : peut-être n’en est-il rien, mais, dans le doute, vous trouverez bon que je vous dise combien votre santé est précieuse à tous ceux qui ont des yeux, des oreilles, et une âme. Pour des yeux, je ne m’en pique pas ; il n’y a plus qu’un degré entre votre petite-fille et moi. Mes oreilles ne sont pas malheureusement à portée de vous entendre ; à l’égard de l’âme, c’est autre chose : je crois entendre de loin la vôtre, devant laquelle la mienne est à genoux. Il n’y a point d’âme au monde qui puisse trouver mauvais qu’il y ait des âmes sensibles, pleines de la plus respectueuse reconnaissance pour leurs bienfaiteurs.

Soit que votre santé ait été altérée, soit que, vous et le grand-père de votre petite-fille[1], vous conserviez une santé brillante, je compte ne rien faire de mal à propos, en vous disant que votre soulier[2] que je conserve me sera toujours le plus précieux de tous les bijoux ; que les capucins de mon pays, et les sœurs de la Charité, et tous les gens qui vont à présent pieds nus, vous bénissent ; que les horlogers, en émaillant leurs cadrans, et en les ornant de votre nom, vous souhaitent des heures agréables ; que les neiges des Alpes et du mont Jura se fondent quand on parle de vous ; que tous ceux qui ont été comblés de vos bontés ne s’entretiennent que de leur reconnaissance ; que sur les bords de l’Euphrate, comme sur ceux de l’Oronte, tous les bergers vous chantent sur leurs chalumeaux.

  1. Mme du Deffant appelait Mme de Choiseul sa grand’maman.
  2. Voyez tome XLVI, page 395.