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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/561

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ANNÉE 1771.

J’ignore aussi le nom du jeune homme égaré qui préfère le talent de faire de bons vers à la dignité de cuistre de collège[1]. Boileau certainement ne travaillait pas si bien à son âge. Il lui manque très-peu de chose pour égaler le Boileau du bon temps.

Je voudrais peut-être qu’il changeât ici sa main d’une onde ; cet hémistiche n’est pas heureux.

Et son bras demi-nud est armé. On prononce nu est, et cela est rude.

Je ne sais si on aimera la voix langoureuse ; la chaleur du baiser est dans Vertumne ainsi j’aimerais mieux donne un baiser que prend un baiser. Ovide a dit : Dedit oscula[2].

Je voudrais que le mariage de la vigne et de l’ormeau fût écrit avec plus de soin. Ces feuillages verts, dans les airs, sont un peu faibles. Il faut que ce morceau l’emporte sur celui de l’opéra des Sens.

Essayer à la fin sa douceur fortunée. Cette douceur fortunée est un peu faible.

Jamais belle n’eût vu tant d’amants sur ses pas. Cela veut dire : Si vous étiez mariée, vous auriez plus d’amants que personne. Cela n’est ni honnête, ni de l’intérêt de Vertumne. Ovide dit[3] : Si vous vouliez vous marier, Hélène n’aurait pas plus de prétendants. Il ne dit pas si vous vouliez essayer.

Peut-être que le discours de Vertumne est un peu trop long dans l’auteur français ; j’ai peur qu’il ne languisse un peu. Il fera plus d’effet s’il est plus resserré.

Voilà toutes mes réflexions sur un très-bel ouvrage. Il me semble qu’il faudrait faire une souscription pour engager l’auteur à suivre un si beau talent. Je souscris pour deux cents francs, parce que je suis devenu pauvre : ma colonie m’a ruiné.

Je vous embrasse tendrement, mon cher ami ; macte animo[4].

La carrière est rude, mais elle est belle.

  1. Ange-François Fariau de Saint-Ange, né en 1747, mort en 1810, avait remis à La Harpe, qui les publia dans le Mercure de décembre 1771, pages 65 et suiv., sa traduction en vers de deux passages des Métamorphoses d’Ovide (Vertumne et Pomone et les Amours de Biblis). C’est sur le premier de ces morceaux que portent toutes les observations de Voltaire, à qui La Harpe avait envoyé une copie manuscrite.
  2. Métamorphoses, XIV, 658.
  3. Métamorphoses, XIV, 669.
  4. Æn., IX, 641.