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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/332

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CORRESPONDANCE.

8783. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT[1].
À Ferney, 3 mars.

Il est bien étrange qu’à mon vingt-huitième accès de fièvre, entre les bras de la mort, je vous envoie deux apologies, l’une sur l’infâme édition de ce malheureux Valade, l’autre sur M. de Morangiés ; ces deux objets vous ont trop intéressé pour que je ne fasse pas un effort sur les douleurs qui m’accablent.

Vous m’écrivez le 23 février : « M. le maréchal de Richelieu assure que les Lois de Minos ont été imprimées sur un exemplaire arrivé de Lausanne, et M. de Sartines proteste avoir vu l’exemplaire et plusieurs autres. »

Je vous dirai d’abord que M. de Sartines me dit tout le contraire, dans sa lettre du 19 février. À l’égard de monsieur le maréchal, j’ignore si ses occupations lui ont permis d’examiner l’affaire mais pour peu qu’il y eût apporté la moindre attention, il eût vu qu’il est impossible que ce Valade ait eu un exemplaire de Lausanne : 1° parce que la pièce n’a jamais encore été imprimée, ni à Lausanne, ni à Genève ; 2° parce que j’ai envoyé à M. de Sartines une attestation en forme du libraire de Lausanne, qui donne un démenti à ce malheureux Valade ; 3° parce que l’édition de Valade n’est conforme qu’à un manuscrit de Lekain donné à Lekain par MM. d’Argental et de Thibouville, manuscrit dans lequel on a inséré plusieurs vers qui ne sont point de moi et que je n’ai jamais vus que dans cette misérable édition. Ces vers étrangers peuvent me faire beaucoup d’honneur ; mais je ne suis point un geai qui se pare des plumes du paon ; 4° si Valade avait reçu un exemplaire de Lausanne ou de Genève, il le montrerait ; mais il n’en a jamais eu d’autres que ceux de son édition détestable. Le fripon alla porter un de ses exemplaires, furtivement imprimés chez lui, à un censeur royal, obtint une permission tacite de s’emparer du bien d’autrui, et dit ensuite que son édition était conforme à cet exemplaire qu’il avait montré : voilà comme il a trompé M. de Sartines et Lekain lui-même ; 5° vous devez plus que personne savoir que l’édition de Valade n’est point conforme à ma pièce, puisque je vous en confiai les premières épreuves que je faisais imprimer à Genève, lorsque vous partîtes de Ferney. Depuis votre départ, je fis changer ces épreuves, et je retravaillai l’ouvrage avec d’autant plus de soin

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.