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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/463

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année 1772.

remis par lui à sa place, le salue tous les jours à midi de ses rayons joints aux vôtres.

Je suis très-touché qu’en honorant les morts vous protégiez les malheureux vivants qui le méritent. Morival doit être à Vesel lieutenant dans un de vos régiments : son véritable nom n’est point Morival, c’est d’Étallonde ; il est fils d’un président d’Abbeville. Copernic n’aurait été qu’excommunié s’il avait survécu au livre où il démontra le cours des planètes et de la terre autour du soleil ; mais d’Étallonde, à l’âge de quinze ans, a été condamné par des Iroquois d’Abbeville à la torture ordinaire et extraordinaire, à l’amputation du poing et de la langue, et à être brûlé à petit feu avec le chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant général de nos armées, pour n’avoir pas salué des capucins, et pour avoir chanté une chanson ; et un parlement de Paris a confirmé cette sentence, pour que les évêques de France ne leur reprochassent plus d’être sans religion : ces messieurs du parlement se firent assassins afin de passer pour chrétiens[1].

Je demande pardon aux Iroquois de les avoir comparés à ces abominables juges, qui méritaient qu’on les écorchât sur leurs bancs semés de fleurs de lis, et qu’on étendît leur peau sur ces fleurs. Si d’Étallonde, connu dans vos troupes sous le nom de Morival, est un garçon de mérite, comme on me l’assure, daignez le favoriser. Puisse-t-il venir un jour dans Abbeville, à la tête d’une compagnie, faire trembler ses détestables juges, et leur pardonner !

Le jugement que vous portez[2] sur l’œuvre posthume d’Helvétius ne me surprend pas ; je m’y attendais : vous n’aimez que le vrai. Son ouvrage est plus capable de faire du tort que du bien à la philosophie ; j’ai vu avec douleur que ce n’était que du fatras, un amas indigeste de vérités triviales et de faussetés reconnues. Une vérité assez triviale, c’est la justice que l’auteur vous rend[3] ; mais il n’y a plus de mérite à cela. On trouve d’ailleurs dans cette compilation irrégulière beaucoup de petits diamants brillants semés çà et là. Ils m’ont fait grand plaisir, et m’ont consolé des défauts de tout l’ensemble.

Je ne sais si je me trompe sur le roi de Pologne, mais je trouve qu’il a bien fait de se confier à Votre Majesté. Il a bien justifié l’ancien proverbe des Grecs : La moitié vaut mieux que le

  1. C’est ce qu’on lit déjà dans la lettre précédente.
  2. Voyez lettre 8908.
  3. Voyez la note 2, page 439.