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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/487

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année 1772.

fut autrefois le berceau de la Ligue ; le fanatisme s’y est conservé. J’ai peine à croire que cette lettre soit d’un évêque né à Carpentras, et par conséquent sujet du pape. Ce n’est pas qu’il n’eût pu penser tout ce qui est dans la lettre, mais il y a longtemps que le pauvre diable ne pense plus : il est tombé en enfance, et vous verrez que quelque ex-jésuite lui aura fait signer cette lettre, également injurieuse au roi et au pape. Il serait plaisant que nous eussions un schisme et des anti-papes pour la compagnie de Jésus. Il ne nous manque plus que cela pour nous achever de peindre.

On dit que tout est factions et cabales à Paris, depuis les petites marionnettes jusqu’aux grandes. Je ne m’attendais pas qu’il dût se trouver un parti qui soutint le crime absurde des Du Jonquay contre l’innocence de M. de Morangiés, après l’arrêt du parlement. La folie a établi son trône dans Paris, comme la raison a mis le sien dans le beau séjour où vous êtes. Cependant je ne sais comment on aime toujours cette ville, qui est le centre de toutes les erreurs et de toutes les sottises ; il faut apparemment qu’il y ait aussi du plaisir. Les singes font des gambades très-plaisantes, quoiqu’ils se mordent. Pour moi, j’achève mes jours en paix, malgré mon ami Fréron et mon ami l’abbé Sabatier.

Je serais fâché que le Taureau blanc[1] parût en public, et me frappât de ses cornes. Je prierai M. le chevalier de Chastellux de vouloir bien ne le mettre que dans des écuries bien fermées, dont les profanes n’aient point la clef. On le traiterait comme le bœuf gras : on courrait après lui, et ensuite on le mangerait, et moi aussi, quoique je ne sois pas gras.

Quand vous serez à Paris, je vous demanderai deux grâces : la première, c’est de vous souvenir de moi ; la seconde, c’est d’en faire souvenir Mme du Deffant, à qui je n’écris point, parce que je n’ai rien à lui envoyer qui puisse l’amuser, mais à qui j’ai la plus grande obligation du monde, puisque c’est à elle que je dois votre connaissance, et, j’ose même dire, l’honneur de votre amitié. Je ne sais si vous l’amuserez avec votre bœuf ; car il faut être un peu familiarisé avec le style oriental et les bêtises de l’antiquité, pour se plaire un peu avec de telles fadaises ; et Mme du Deffant ne se plaît guère avec cette antiquité respectable. Je n’ai jamais pu lui persuader de se faire lire l’Ancien Testament, quoiqu’il soit, à mon gré, plus curieux qu’Homère.

  1. Tome XXI, page 483.