Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

9038. — À M. LE CHEVALIER DE LISLE.
27 janvier.

Le vieux malade, monsieur, vous remercie d’abord de vos Trois Rois[1]. On n’a jamais parlé d’eux plus convenablement ni plus gaiement. L’aventure de Tours est dans un autre goût[2] ; c’est du Crébillon tout pur. Il est vrai que nous avons dans la sainte Écriture[3] une aventure à peu près pareille. Le patriarche Juda ayant couché avec sa belle-fille, et lui ayant fait un enfant, la condamna à la mort ; mais la sentence ne fut pas exécutée. Si Amnon coucha avec une de ses sœurs[4], il ne lui donna ensuite que des coups de pied au cul, et ne la tua point. Je ne croyais pas les Tourangeaux si méchants.

Je ne sais si je vous ai conté qu’il y a environ cinquante à soixante ans je trouvai à Tours un procureur du roi qui me dit : « Je ne suis pas du pays ; mais, en passant par Tours il y a vingt-cinq ans, je trouvai le peuple si bon que j’y fixai mon séjour ; et, depuis que j’y suis, il ne m’est pas passé un seul procès criminel par les mains. »

Je répétais un jour ces paroles à une Tourangeaute, et lui disais : « Voyez un peu, madame, il y a vingt-cinq ans qu’il ne s’est commis un crime à Tours. » Elle me répondit : « Est-ce qu’il s’en serait commis auparavant ? »

Je suis fondé, sur la réponse de cette bonne femme, à croire que votre salpêtrier n’est point Tourangeau, et que c’est quelque coquin, parent de Fréron ou de l’abbé Sabatier, qui s’est allé établir à Tours. C’est une chose que je veux approfondir.

Pour vos quatre ensorcelés[5], il y a un petit opéra-comique des ensorcelés[6], beaucoup plus plaisant que ces quatre imbéciles. Je suis plus ensorcelé qu’eux, car le diable me berce continuellement, afflige mon corps, et se moque de mon âme ; c’est

  1. Cette chanson est imprimée dans la Correspondance de Grimm, février 1774.
  2. Un habitant de Tours, salpêtrier de profession, avait tué sa fille de trois balles dans la poitrine, après lui avoir fait un enfant. (K.)
  3. Genèse, chap. xxxviii.
  4. II, Rois, chap. XIII.
  5. Une famille entière auprès du Raincy, maison à M. le duc d’Orléans, se disait ensorcelée ; et comme la chose était bien absurde, elle fut crue, et crue par la meilleure compagnie, en 1771. (K.)
  6. Les Ensorceles on Jeannot et Jeannette, par Mme Favart, Guérin et Harni, ont été joués sur le Théatre-Italien le 17 septembre 1757.