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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/574

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9051. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 12 février.

Il y a longtemps, mon cher et illustre maître, que je n’ai entendu parler de vous, et que, de mon côté, je ne vous ai donné signe de vie. Je veux pourtant vous dire un mot, mais un mot seulement, et ce mot est que je vous aime toujours. Je vous crois fort occupé ; tant mieux pour moi, et tant pis pour d’autres. On m’a dit que vous aviez été malade ; mais on m’a depuis rassuré. Sophonisbe n’a pas vécu aussi longtemps que les chefs-d’œuvre de Régulus et d’Orphanis. Qu’on dise à présent que le parterre n’est pas connaisseur ! À propos d’Orphanis, avez-vous lu le terrible extrait que La Harpe vient d’en faire dans le Mercure[1] ? Ce jeune homme est bien digne par ses talents, son bon goût, et son courage, de l’intérêt que vous prenez à lui ; mais il aura une rude carrière à parcourir, bien semée d’épines et de chausse-trapes par ses ennemis. Je suis vraiment affligé de le voir sans fortune. On dit que vous avez du crédit auprès du contrôleur général[2], qui se ferait un plaisir de vous obliger, ne fût-ce que par vanité. Vous devriez l’engager à faire quelque chose pour ce jeune homme, qui trouve tant de portes fermées, et qui ne parviendra que tard à les briser et à les renverser par ses succès.

Que dites-vous de Sémiramis-Catau ? Il me semble que les Turcs commencent à se moquer d’elle. Quand on se laisse battre par ces marabouts, il ne faut pas persifler la philosophie. Rira bien qui rira le dernier. Cette Sémiramis m’avait mandé que les prisonniers français faits à Cracovie étaient très-bien traités. M. de Choisy, un de ces prisonniers, qui est ici, assure qu’ils ont été traités indignement. Vous devriez bien écrire à cette grande princesse que Sémiramis est bien mal obéie, et Catau bien mal instruite.

Adieu, mon cher maître ; je vous aime plus que toutes les Sémiramis, et même que toutes les Catau. Dites-moi un mot de votre santé, et songez au pauvre La Harpe. Mes respects à Mme Denis.

9052. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 16 février.

Vous devez savoir que je suis Teuton de naissance, et que par conséquent la langue française n’est pas ma langue maternelle. Quelque peine que vous vous soyez donnée de m’enseigner les finesses de votre langue, je n’en ai pu profiter autant que je l’aurais voulu, soit par distraction des affaires, soit par une vie active que les devoirs de mon emploi m’ont obligé de mener. J’ai donc pu mal entendre votre ouvrage sur la Tactique, et je n’ai

  1. Février 1774, page 32. Blin en tira vengeance ; voyez la Correspondance de Grimm, février 1774.
  2. Dans sa réponse (lettre 9053), Voltaire dit que c’est tout le contraire.