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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/582

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présent fort opposé, et le roi d’Espagne encore plus ; et il faut espérer que le roi de France trouvera des serviteurs fidèles qui lui feront sentir que cette vermine ne lui pardonnera jamais de l’avoir écrasée, et ne se croira pas dédommagée par le consentement qu’il pourrait donner à leur nouvelle existence ; et qu’ainsi il y aurait le plus grand risque pour lui à les laisser ressusciter, sous quelque forme que ce puisse être.

Voici le projet de la nouvelle forme qu’on prétend leur donner. Ils formeront une communauté de prêtres, qui n’aura point de général à Rome, mais qui fera des vœux, excepté celui de pauvreté, afin qu’ils soient susceptibles de bénéfices. On recevra dans cette communauté d’autres prêtres que les ex-jésuites, et même ces prêtres seuls auront l’administration des biens. De plus, l’étude de la théologie sera interdite dans cette congrégation, et ils ne pourront jamais diriger les séminaires ; mais ils serviront de pépinière pour donner des maîtres aux collèges de provinces, sans néanmoins être membres de l’université.

Vous sentez, mon cher maître, tout ce qu’il y a d’insidieux dans ce projet, et que, dès qu’une fois la canaille sera établie, elle se mettra bientôt en possession de tous les avantages auxquels elle feint de renoncer dans ce moment, pour ne pas trop effaroucher les contradicteurs. D’abord les bénéfices dont ils sont susceptibles leur donneront moyen d’entrer dans le clergé et de devenir évêques ; nouveau moyen de pouvoir qui manquait à la société défunte. Les prêtres séculiers, prétendus administrateurs des biens, seront bientôt culbutés par eux, dès qu’ils trouveront un peu de faveur ; et d’ailleurs ces prêtres, choisis par l’archevêque de Paris, seront leurs créatures et leurs valets. Ils ne tarderont pas à représenter qu’il est absurde d’interdire à une communauté de prêtres l’étude de la théologie, et ils obtiendront ce point d’autant plus facilement que leur demande sera raisonnable. Ils représenteront de même qu’étant destinés à peupler les collèges de provinces, il est impossible qu’ils y suffisent en n’ayant qu’une seule maison dans Paris (car le prétendu projet ne leur permet pas d’en avoir ailleurs) et ils obtiendront de même fort aisément d’en avoir au moins dans les principales villes.

Enfin il est clair que ces marauds ne demandent rien, dans ce moment, que d’obtenir un souffle de vie, qui deviendra bientôt, grâce à leurs intrigues, un état de vigueur et de santé. Je vous avoue, mon cher ami, que j’ai le cœur navré quand je vois la protection que le roi de Prusse accorde à cette canaille, et qui servira peut-être d’exemple à d’autres souverains, quoiqu’il y ait bien de la différence entre souffrir des jésuites en pays protestant, et les avoir en pays catholique.

Voilà, mon cher ami, un sujet bien intéressant, et qui mériterait bien autant d’exercer votre plume que les Morangiés[1] et les La Beaumelle[2]. Vous allez dire que je fais encore le Bertrand, et que j’ai toujours recours à Raton ; mais songez donc que Bertrand a les ongles coupés. Ce que je désire et que j’attends de vous serait l’ouvrage d’un bon citoyen et d’un bon

  1. Voyez tome XXIX, page 213.
  2. Voyez tome XXIX, page 258.