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188 DISSERTATION

Sophocle. Je maintiens que ces coups bien ménagés sont la véritable tragé- die, qui ne consiste pas dans les sentiments galants, ni dans les raisonnements, mais dans une action pathétique, terrible, théâtrale, telle que celle-ci. Electre ne participe point, dans Oresie, au meurtre de sa mère, comme dans \ Electre de Sophocle, et encore plus dans celle d’Euripide et d’Eschyle. Ce qu’elle crie à son frère dans le moment de la catastrophe la justifie (V, VIII) :

Achève, et sois inexorable ;

Venge-nous, vengc-la ; tranche un nœud si coupable :

Frappe, immole à ses pieds cet infâme assassin.

Je ne comprends pas comment la même nation qui voit tous les jours sans horreur le dénomment de Rotlogime, et qui a souffert celui de Thyesle et d’Alrée, pourrait désapprouver le tableau que formerait cette catastrophe : rien de moins conséquent. L’atrocité du spectacle d’un père qui voit sur le théâtre même le sang de son propre fils innocent et massacré par un frère barbare doit causer infiniment plus d’horreur que le meurtre involontaire et forcé d’une femme coupable, meurtre ordonné d’ailleurs expressément par les dieux.

Oreste est certainement plus à plaindre dans l’auteur français que dans l’arménien, et la divinité y est plus ménagée ; elle y punit un crime par un crime ; mais elle punit avec raison Oreste qui a désobéi. C’est cette désobéissance qui forme précisément ce qu’il y a de plus touchant dans la pièce. Il n’est parricide que pour avoir trop écouté avec sa sœur la voix de la nature ; il n’est malheureux que pour avoir été tendre : il inspire ainsi la compassion et la terreur ^ ; mais il les inspire épurées et dignes de toute la majesté du poëme dramatique : ce n’est point ici une crainte ridicule qui diminue la fermeté de l’âme ; ce n’est point une compassion mal entendue, fondée sur l’amour le plus étrange et le plus déplacé, qui serait aussi absurde qu’infuse.

Quand au dernier récit que fait Pylade, je ne sais ce qu’on y pourrait U’ouver à redire. Les applaudissements redoublés qu’il a reçus le mettent pleinement au-dessus de la critique. Les Grecs ont été charmés de celui d’Euripide, où le meurtre d’Égisthe est raconté fort au long. Comment notre nation pouri*dit-elle improuver celui-ci, qui contient d’ailleurs une révolution imprévue, mais fondée, dont tous les spectateurs sont d’autant plus satisfaits qu’elle n’est en aucune façon annoncée, qu’elle est à la fois étonnante et vraisemblable, et qu’elle conduit naturellement à la catastrophe ?

Ce n’est pas un de ces dénuements vulgaires dont parle M. de La Bruyère, et dans lequel les mutins n’entendent point raison. On voit assez quel art il y a d’avoir amené de loin cette révolution, en faisant dire à Pammène, dès le troisième acte (scène i’"*’) :

La race des vrais rois tôt ou tard est chérie ^.

1. La fin de cet alinéa fut ajoutée en 1707. (B.) « ’. On trouvera ce vers dans les variantes.