Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/326

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Non, je ne puis le croire ; et le ciel irrité
N’a pas dans votre sein mis tant de cruauté.
Non, vous ne serez point plus dur et plus barbare
Que la loi du vainqueur, et le fer du tartare.
Vous pleurez, malheureux !

zamti

Vous pleurez, malheureux !Ah ! Pleurez avec moi ;
Mais avec moi songez à sauver votre roi.

idamé

Que j’immole mon fils !

zamti

Que j’immole mon fils !Telle est notre misère :
Vous êtes citoyenne avant que d’être mère.

idamé

Quoi ! Sur toi la nature a si peu de pouvoir !

zamti

Elle n’en a que trop, mais moins que mon devoir ;
Et je dois plus au sang de mon malheureux maître,
Qu’à cet enfant obscur à qui j’ai donné l’être.

idamé

Non, je ne connais point cette horrible vertu.
J’ai vu nos murs en cendre, et ce trône abattu ;
J’ai pleuré de nos rois les disgrâces affreuses ;
Mais par quelles fureurs, encor plus douloureuses,
Veux-tu, de ton épouse avançant le trépas,
Livrer le sang d’un fils qu’on ne demande pas ?
Ces rois ensevelis, disparus dans la poudre,
Sont-ils pour toi des dieux dont tu craignes la foudre[1] ?
À ces dieux impuissants, dans la tombe endormis,
As-tu fait le serment d’assassiner ton fils ?
Hélas ! Grands et petits, et sujets, et monarques,
Distingués un moment par de frivoles marques[2],
Égaux par la nature, égaux par le malheur,
Tout mortel est chargé de sa propre douleur[3] ;

  1. On lit dans Virgile :
    Id cincrem aut manes credis curare scpultos.
    Æn., IV, 31.
  2. Voltaire, dans Son Commentaire sur Corneille, dit que marques, pour rimer à monarques, ne doivent jamais paraître dans la poésie. (B.)
  3. Virgile a dit :
    Quisque suos patimur Manes.
    Æn., VI, 743.