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ÉPITRE DÉDICATOIRE

du traducteur de l’écossaise

À M. LE COMTE DE LAURAGUAIS[1].



Monsieur,

La petite bagatelle que j’ai l’honneur de mettre sous votre protection n’est qu’un prétexte pour vous parler avec liberté.

Vous avez rendu un service éternel aux beaux-arts et au bon goût en contribuant, par votre générosité, à donner à la ville de Paris un théâtre moins indigne d’elle. Si on ne voit plus sur la scène César et Ptolémée, Athalie et Joad, Mérope et son fils, entourés et pressés d’une foule de jeunes gens, si les spectacles ont plus de décence, c’est à vous seul qu’on en est redevable. Ce bienfait est d’autant plus considérable que l’art de la tragédie et de la comédie est celui dans lequel les Français se sont distingués davantage. Il n’en est aucun dans lequel ils n’aient de très-illustres rivaux, ou même des maîtres. Nous avons quelques bons philosophes ; mais, il faut l’avouer, nous ne sommes que les disciples des Newton, des Locke, des Galilée. Si la France a quelques historiens, les Espagnols, les Italiens, les Anglais même, nous disputent la supériorité dans ce genre. Le seul Massillon aujourd’hui passe chez les gens de goût pour un orateur agréable ; mais qu’il est encore loin de l’archevêque Tillotson aux yeux du reste de l’Europe ! Je ne prétends point peser le mérite des hommes de génie ; je n’ai pas la main assez forte pour tenir cette balance :

  1. Louis-Léon-Félicité, comte de Lauraguais, né le 3 juillet 1733, devint duc de Brancas en 1773, à la mort du duc de Villars-Brancas son père, et mourut le 9 octobre 1824. (B.) — Il fut, sous la Révolution française, membre du club des Cordeliers. (G. A.)