parvenir à en faire, ma fortune est faite, j’ai loué des sots, j’ai dénigré les talents ; à peine y a-t-il de quoi vivre. Ce n’est pas à médire, c’est à nuire qu’on fait fortune[1].
(Au maître du café.)
Bonjour, monsieur Fabrice, bonjour. Toutes les affaires vont bien, hors les miennes : j’enrage.
Monsieur Frélon, monsieur Frélon, vous vous faites bien des ennemis.
Oui, je crois que j’excite un peu d’envie.
Non, sur mon âme ; ce n’est point du tout ce sentiment-là que vous faites naître : écoutez ; j’ai quelque amitié pour vous ; je suis fâché d’entendre parler de vous comme on en parle. Comment faites-vous donc pour avoir tant d’ennemis, monsieur Frélon ?
C’est que j’ai du mérite, monsieur Fabrice.
Cela peut être, mais il n’y a encore que vous qui me l’ayez dit : on prétend que vous êtes un ignorant ; cela ne me fait rien : mais on ajoute que vous êtes malicieux, et cela me fâche, car je suis bonhomme.
J’ai le cœur bon, j’ai le cœur tendre ; je dis un peu de mal des hommes, mais j’aime toutes les femmes, monsieur Fabrice, pourvu qu’elles soient jolies ; et, pour vous le prouver, je veux absolument que vous m’introduisiez chez cette aimable personne qui loge chez vous, et que je n’ai pu encore voir dans son appartement.
Oh, pardi ! monsieur Frélon, cette jeune personne-là n’est guère faite pour vous ; car elle ne se vante jamais, et ne dit de mal de personne.
Elle ne dit de mal de personne, parce qu’elle ne connaît personne. N’en seriez-vous point amoureux, mon cher monsieur Fabrice ?
Oh ! non : elle a quelque chose de si noble dans son air, que je n’ose jamais être amoureux d’elle : d’ailleurs sa vertu…
- ↑ Comparez la première scène de l’Envieux. Voyez Théâtre, tome II