patrie, j’ai perdu mes honneurs, ma femme, mon fils, ma famille entière : une fille me reste, errante comme moi, misérable, et peut-être déshonorée ; et je mourrai donc sans être vengé de cette barbare famille de Murray, qui m’a persécuté, qui m’a tout ôté, qui m’a rayé du nombre des vivants ! car enfin je n’existe plus ; j’ai perdu jusqu’à mon nom par l’arrêt qui me condamne en Écosse ; je ne suis qu’une ombre qui vient errer autour de son tombeau.
frappant sur l’épaule de Frélon, qui écrit.
Eh bien, tu étais hier à la pièce nouvelle ; l’auteur fut bien applaudi ; c’est un jeune homme de mérite, et sans fortune, que la nation doit encourager.
Je me soucie bien d’une pièce nouvelle. Les affaires publiques me désespèrent ; toutes les denrées sont à bon marché, on nage dans une abondance pernicieuse ; je suis perdu, je suis ruiné.
Cela n’est pas vrai : la pièce ne vaut rien ; l’auteur est un sot, et ses protecteurs aussi ; les affaires publiques n’ont jamais été plus mauvaises ; tout renchérit ; l’État est anéanti, et je le prouve par mes feuilles.
Tes feuilles sont des feuilles de chêne ; la vérité est que la philosophie est bien dangereuse, et que c’est elle qui nous a fait perdre l’île de Minorque.
Le fils de milord Murray me payera tous mes malheurs. Que ne puis-je au moins, avant de périr, punir par le sang du fils toutes les barbaries du père !
La pièce d’hier m’a paru très-bonne.
Le mauvais goût gagne ; elle est détestable.
Il n’y a de détestable que tes critiques.
Et moi, je vous dis que les philosophes font baisser les fonds publics, et qu’il faut envoyer un autre ambassadeur à la Porte.
Il faut siffler la pièce qui réussit, et ne pas souffrir qu’il se fasse rien de bon.
(Ils parlent tous quatre en même temps.)