Peut-être je dois ces sentiments mêmes à mes malheurs ; peut-être, si j’avais été élevée dans le luxe et la mollesse, cette âme, qui s’est fortifiée par l’infortune, n’eût été que faible.
Ô vous ! digne du plus beau sort du monde, cœur magnanime, âme élevée, vous m’avouez que vous êtes d’une de ces familles proscrites, dont le sang a coulé sur les échafauds, dans nos guerres civiles, et vous vous obstinez à me cacher votre nom et votre naissance !
Ce que je dois à mon père me force au silence : il est proscrit lui-même ; on le cherche, je l’exposerais peut-être, si je me nommais : vous m’inspirez du respect et de l’attendrissement ; mais je ne vous connais pas : je dois tout craindre. Vous voyez que je suis suspecte moi-même ; que je suis arrêtée et prisonnière ; un mot peut me perdre.
Hélas ! un mot ferait peut-être la première consolation de ma vie. Dites-moi du moins quel âge vous aviez quand la destinée cruelle vous sépara de votre père, qui fut depuis si malheureux ?
Je n’avais que cinq ans.
Grand Dieu, qui avez pitié de moi ! toutes ces époques rassemblées, toutes les choses qu’elle m’a dites, sont autant de traits de lumière qui m’éclairent dans les ténèbres où je marche. Providence ! ne t’arrête point dans tes bontés !
Quoi ! vous versez des larmes ! Hélas ! tout ce que je vous ai dit m’en fait bien répandre.
Achevez, je vous en conjure. Quand votre père eut quitté sa famille pour ne plus la revoir, combien restâtes-vous auprès de votre mère ?
J’avais dix ans quand elle mourut, dans mes bras, de douleur et de misère, et que mon frère fut tué dans une bataille.
Ah ! je succombe ! Quel moment et quel souvenir ! Chère et malheureuse épouse ! … fils heureux d’être mort, et de n’avoir pas