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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/478

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LINDANE.

Peut-être je dois ces sentiments mêmes à mes malheurs ; peut-être, si j’avais été élevée dans le luxe et la mollesse, cette âme, qui s’est fortifiée par l’infortune, n’eût été que faible.

MONROSE.

Ô vous ! digne du plus beau sort du monde, cœur magnanime, âme élevée, vous m’avouez que vous êtes d’une de ces familles proscrites, dont le sang a coulé sur les échafauds, dans nos guerres civiles, et vous vous obstinez à me cacher votre nom et votre naissance !

LINDANE.

Ce que je dois à mon père me force au silence : il est proscrit lui-même ; on le cherche, je l’exposerais peut-être, si je me nommais : vous m’inspirez du respect et de l’attendrissement ; mais je ne vous connais pas : je dois tout craindre. Vous voyez que je suis suspecte moi-même ; que je suis arrêtée et prisonnière ; un mot peut me perdre.

MONROSE.

Hélas ! un mot ferait peut-être la première consolation de ma vie. Dites-moi du moins quel âge vous aviez quand la destinée cruelle vous sépara de votre père, qui fut depuis si malheureux ?

LINDANE.

Je n’avais que cinq ans.

MONROSE.

Grand Dieu, qui avez pitié de moi ! toutes ces époques rassemblées, toutes les choses qu’elle m’a dites, sont autant de traits de lumière qui m’éclairent dans les ténèbres où je marche. Providence ! ne t’arrête point dans tes bontés !

LINDANE.

Quoi ! vous versez des larmes ! Hélas ! tout ce que je vous ai dit m’en fait bien répandre.

MONROSE, s’essuyant les yeux.

Achevez, je vous en conjure. Quand votre père eut quitté sa famille pour ne plus la revoir, combien restâtes-vous auprès de votre mère ?

LINDANE.

J’avais dix ans quand elle mourut, dans mes bras, de douleur et de misère, et que mon frère fut tué dans une bataille.

MONROSE.

Ah ! je succombe ! Quel moment et quel souvenir ! Chère et malheureuse épouse ! … fils heureux d’être mort, et de n’avoir pas