ans, quand Saül fut élu roi, nous n’avions pas de quoi acheter des armes ; il n’y avait que deux sabres dans tout l’État, encore étaient-ils tout rouillés[1] ; les Philistins, dont nous avons presque tous été les esclaves, ne nous laissèrent pas dans nos chaumières seulement un morceau de fer pour raccommoder nos charrues : aussi nos charrues nous sont-elles fort inutiles dans un mauvais pays pierreux, hérissé de montagnes pelées, où il n’y a que quelques oliviers avec un peu de raisin : nous n’avions pris au roi Agag que des bœufs, des chèvres et des moutons, parce que c’était là tout ce qu’il avait ; je ne crois pas que nous puissions trouver dix écus dans toute la Judée ; il y a quelques usuriers qui rognent les espèces[2] à Tyr et à Damas ; mais ils se feraient empaler plutôt que de vous prêter un denier.
S’est-on emparé du petit village de Salem, et de son château ?
Oui, milord.
J’en suis fâché, cette violence peut décrier notre nouveau gouvernement. Salem appartient de tout temps aux Jébuséens, avec qui nous ne sommes point en guerre ; c’est un lieu saint, car Melchisédech était autrefois roi de ce village.
Il n’y a point de Melchisédech qui tienne : j’en ferai une bonne forteresse ; je l’appellerai Hérus-Chalaïm ; ce sera le lieu de ma résidence ; nos enfants seront multipliés comme le sable de la mer, et nous régnerons sur le monde entier.
Eh ! seigneur, vous n’y pensez pas ! Cet endroit est une espèce de désert, où il n’y a que des cailloux à deux lieues à la ronde. On y manque d’eau ; il n’y a qu’un petit malheureux torrent de Cédron qui est à sec six mois de l’année : que n’allons-nous plutôt sur les grands chemins de Tyr, vers Damas, vers Babylone ? Il y aurait là de beaux coups à faire.
Oui, mais tous les peuples de ce pays-là sont puissants ; nous risquerions de nous faire pendre : enfin le Seigneur m’a donné Hérus-Chalaïm ; j’y demeurerai, et j’y louerai le Seigneur.