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188 LK TRIUMVIRAT.

Et l’infàmo avarice, au pouvoir asservie S Doit trancher à prix d’or une si ])elle vie ; Tels sont les vils Romains,

FULVIK.

Quoi ! tout espoir me fuit !

Non, je défie encor le sort qui me poursuit ;

1. Le prix de chaque tète était de 100,000 sesterces, qui font aujourd’hui environ 22,000 livres de notre monnaie. Mais il est très-probable que le sang de Sextus Pompée, de Ciccron et des principaux proscrits, fut mis à un prix plus haut, puisque Popilius Lasnas, assassin de Cicéron, reçut la valeur do 200,000 francs pour sa récompense.

Au reste, le prix ordinaire de 100,000 sesterces pour les hommes libres qui assassineraient des citoyens fut réduit à 40,000 pour les esclaves. L’ordonnance en fut affiliée dans toutes les places publiques de Rome. Il y eut trois cents sénateurs de proscrits, deux mille chevaliers, plus de cent négociants, tous pères de famille. Mais les vengeances particulières et la fureur de la déprédation firent périr beaucoup plus de citoyens que les triumvirs n’en avaient condamné. Tous ces meurtres horribles furent colorés des apparences de la justice. On assassina en vertu d’un édit ; et qui osait donner cet édit ? trois citoyens qui alors n’avaient aucune prérogative que celle de la force.

L’avarice eut tant de part dans ces proscriptions, de la part même des triumvirs, qu’ils imposèrent une taxe exorbitante sur les femmes et sur les filles des proscrits, afin qu’il n’y eût aucun genre d’atrocité dont ces prétendus vengeurs de la mort de César ne souillassent leur usurpation.

Il y eut encore une autre espèce d’avarice dans Antoine et dans Octave ; ce fut la rapine et la déprédation qu’ils exercèrent l’un et l’autre dans la guerre civile qui survint bientôt après entre eux.

Antoine dépouilla l’Orient, et Auguste força les Romains et tous les peuples d’Occident, soumis à Rome, de donner le quart de leurs revenus, indépendamment des impôts sur le commerce. Les affranchis payèrent le huitième de leurs fonds. Les citoyens romains, depuis le triomphe de Paul-Émile jusqu’à la mort de César, n’avaient été soumis à aucun tribut ; ils furent vexés et pillés lorsqu’ils combattirent pour savoir de qui ils seraient esclaves, ou d’Octave ou d’Antoine.

Ces déprédateurs ne s’en tinrent pas là. Octave, immédiatement avant la guerre de Pérouse, donna à ses vétérans toutes les terres du territoire de Mantoue et de Crémone ; il chassa de leurs foyers un nombre prodigieux de familles innocentes pour enrichir les meurtriers qui étaient à ses gages. César, son père, n’en avait point usé ainsi ; et même, quoique dans les Gaules il eût exercé tous les brigandages qui sont les suites do la guerre, on ne voit pas qu’il ait dépouillé une seule famille gauloise de son héritage. Nous ne savons pas si, lorsque les Rourguignons, et après eux les Francs, vinrent dans la Gaule, ils s’approprièrent les terres des vaincus. Il est bien prouvé que Clovis et les siens pillèrent tout ce qu’ils trouvè- rent de précieux, et qu’ils mirent les anciens colons dans une dépendance qui approchait de la servitude ; mais enfin ils ne les chassèrent pas des terres que leurs pères avaient cultivées. Ils le pouvaient, en qualité d’étrangers, de barbares, et de vainqueurs ; mais Octave dépouillait ses compatriotes.

Remarquons encore que toutes ces abominations romaines sont du temps où les arts étaient perfectionnés en Italie, et que les brigandages des Francs et des Bourguignons sont d’un temps où les arts étaient absolument ignorés dans cette partie du monde, alors pi-esque sauvage.

La philosophie morale, qui avait fait tant do progrès dans Cicéron, dans Atticus,