Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/21

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De monseigneur s’étaient rendus les maîtres
De nos aïeux, régnaient sur nos hameaux.

MATHURIN.

Ouais ! nos aïeux étaient donc de grands sots !

LE BAILLIF.

Pas plus que toi. Les seigneurs du village
Devaient avoir un droit de vasselage.

MATHURIN.

Pourquoi cela ? Sommes-nous pas pétris
D’un seul limon, de lait comme eux nourris ?
N’avons-nous pas comme eux des bras, des jambes,
Et mieux tournés, et plus forts, plus ingambes ;
Une cervelle avec quoi nous pensons
Beaucoup mieux qu’eux, car nous les attrapons ?
Sommes-nous pas cent contre un ? Ça m’étonne
De voir toujours qu’une seule personne
Commande en maître à tous ses compagnons,
Comme un berger fait tondre ses moutons.
Quand je suis seul, à tout cela je pense
Profondément. Je vois notre naissance
Et notre mort, à la ville, au hameau,
Se ressembler comme deux gouttes d’eau.
Pourquoi la vie est-elle différente ?
Je n’en vois pas la raison : ça tourmente.
Les Mathurins et les godelureaux,
Et les baillifs, ma foi, sont tous égaux.

LE BAILLIF.

C’est très-bien dit, Mathurin : mais, je gage,
Si tes valets te tenaient ce langage,
Qu’un nerf de bœuf appliqué sur le dos
Réfuterait puissamment leurs propos ;
Tu les ferais rentrer vite à leur place.

MATHURIN.

Oui, vous avez raison : ça m’embarrasse ;
Oui, ça pourrait me donner du souci.
Mais, palsambleu, vous m’avouerez aussi
Que quand chez moi mon valet se marie,
C’est pour lui seul, non pour ma seigneurie ;
Qu’à sa moitié je ne prétends en rien ;
Et que chacun doit jouir de son bien,

LE BAILLIF.

Si les petits à leurs femmes se tiennent.