Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/535

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Combien je chérissais cet heureux ministère !
Quel plaisir j’éprouvais dans le doux nom de frère !

ARZAME

Ah ! Ne prononcez pas un nom trop odieux.

CÉSÈNE

Que dites-vous ?

IRADAN

Il faut m’arracher de ces lieux ;
Renonçons pour jamais à ce poste funeste,
À ce rang avili qu’avec vous je déteste,
À tous ces vains honneurs d’un soldat détrompé,
Trop basse ambition dont j’étais occupé.
Fuyons dans la retraite où vous vouliez vous rendre ;
De nos enfants, mon frère, allons pleurer la cendre :
Nos femmes, nos enfants, nous ont été ravis ;
Vous pleurez votre fille, et je pleure mon fils.
Tout est fini pour nous, sans espoir sur la terre,
Que pouvons-nous prétendre à la cour, à la guerre ?
Quittons tout, et fuyons. Mon esprit aveuglé
Cherchait de nouveaux nœuds qui m’auraient consolé ;
Ils sont rompus, le ciel en a rompu la trame.
Fuyons, dis-je, à jamais et du monde et d’Arzame.

CÉSÈNE

Vous me glacez d’effroi ; quel trouble et quels desseins !
Vous laisseriez Arzame à ses vils assassins,
À ses bourreaux ? Qui ? Vous !

IRADAN

Arrêtez ; peut-on croire
D’un soldat, de son frère, une action si noire ?
Ce que j’ai commencé je le veux achever ;
Je ne la verrai plus, mais je dois la sauver :
Mes serments, ma pitié, mon honneur, tout m’engage ;
Et je n’ai point de vous mérité cet outrage :
Vous m’offensez.

ARZAME

Ô ciel ! ô frères généreux !
Dans quel saisissement vous me jetez tous deux !
Hélas ! vous disputez pour une malheureuse ;
Laissez-moi terminer ma destinée affreuse :
Vous en voulez trop faire, et trop sacrifier ;
Vos bontés vont trop loin, mon sang doit les payer.