Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/72

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Qu’ayant vécu presque dans la misère,
Dans la bassesse, et dans l’obscurité,
Elle ait cet air et cette dignité,
Ces sentiments, cet esprit, ce langage,
Je ne dis pas au-dessus du village,
De son état, de son nom, de son sang,
Mais convenable au plus illustre rang ?
Non, il n’est point de mère respectable
Qui, condamnant l’erreur d’un fils coupable,
Le rappelât avec plus de bonté
À la vertu dont il s’est écarté ;
N’employant point l’aigreur et la colère,
Fière et décente, et plus sage qu’austère.
Dé vous surtout elle a parlé longtemps.

LE MARQUIS.

De moi ?…

LE CHEVALIER.

De moi ?… Montrant à mes égarements
Votre vertu, qui devait, disait-elle,
Être à jamais ma honte ou mon modèle.
Tout interdit, plein d’un secret respect,
Que je n’avais senti qu’à son aspect,
Je suis honteux ; mes fureurs se captivent.
Dans ce moment les deux dames arrivent ;
Et, me voyant maître de leur logis,
Avec Acanthe et deux ou trois bandits,
D’un juste effroi leur âme s’est remplie :
La plus âgée en tombe évanouie.
Acanthe en pleurs la presse dans ses bras :
Elle revient des portes du trépas ;
Alors sur moi fixant sa triste vue,
Elle retombe, et s’écrie éperdue :
« Ah ! je crois voir Gernance… c’est son fils,
C’est lui… je meurs… » À ces mots je frémis ;
Et la douleur, l’effroi de cette dame,
Au même instant ont passé dans mon âme.
Je tombe aux pieds de Dormène, et je sors,
Confus, soumis, pénétré de remords.

LE MARQUIS.

Ce repentir dont votre âme est saisie
Charme mon cœur, et nous réconcilie.
Tenez, prenez ce paquet important,