Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/86

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Je suis honteux, mes fureurs se captivent.
Dans ce moment les deux dames arrivent ;
Et, me voyant maître de leur logis,
Avec Acanthe, et deux ou trois bandits,
D’un juste effroi leur âme s’est remplie :
La plus âgée en tombe évanouie.
Acanthe en pleurs la presse dans ses bras :
Elle revient des portes du trépas.
Alors sur moi fixant sa triste vue,
Elle retombe, et s’écrie éperdue :
« Ah ! je crois voir Gernance… c’est mon fils,
C’est lui… je meurs… » À ces mots je frémis ;
Et la douleur, l’effroi de cette dame,
Au même instant ont passé dans mon âme.
Je tombe aux pieds de Dormène, et je sors,
Confus, soumis, pénétré de remords.

LE MARQUIS.

Ce repentir dont votre âme est saisie
Charme mon cœur, et nous réconcilie.
Tenez, prenez ce paquet important,
Lisez-le seul, pesez-le mûrement ;
Et si pour moi vous conservez, Gernance,
Quelque amitié, quelque condescendance,
Promettez-moi, lorsque Acanthe en ces lieux
Pourra paraître à vos coupables yeux,
D’avoir sur vous un assez grand empire
Pour lui cacher ce que vous allez lire.

LE CHEVALIER.

Oui, je vous le promets, oui.

LE MARQUIS.

Oui, je vous le promets, oui. Vous verrez
L’abîme affreux d’où vos pas sont tirés.

LE CHEVALIER.

Comment ?

LE MARQUIS.

Comment ? Allez, vous tremblerez, vous dis-je.


Scène VIII.



LE MARQUIS.

Quel jour pour moi ? Tout m’étonne et m’afflige.
La belle Acanthe est donc de ma maison !
Mais sa naissance avait flétri son nom ;
Son noble sang fut souillé par son père ;
Rien n’est plus beau que le nom de sa mère ;
Mais ce beau nom a perdu tous ses droits
Par un hymen que réprouvent nos lois.
La triste Laure, ô pensée accablante !
Fut criminelle en faisant naître Acanthe ;
Je le sais trop, l’hymen fut condamné ;