Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/341

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À LAC A 1)1’ : Ml H FUANfjAISH. 331

M""" Montagne relève avec justice quelques défauts de la belle tragédie de Cinua et ceux de Rodoijune^. Tout n’est pas toujours ni Lien dessiné ni bien exprimé dans ces fameuses pièces, je l’avoue : je suis même obligé de vous dire, messieurs, que cette dame spirituelle ol éclairée ne reprend qu’une petite partie des fautes remarquées par moi-même, lorsque je vous consultai sur le Commentab-e de CoDicille. Je me suis entièrement rencontré avec elle dans les justes critiques que j’ai été obligé d’en faire : mais c’est toujours en admirant son génie que j’ai remarqué ses écarts ; et quelle différence entre les défauts de Corneille dans ses bonnes pièces, et ceux de Shakespeare dans tous ses ouvrages !

Que peut-on reprocher à Corneille dans les tragédies de ce génie sublime qui sont restées à l’Europe (car il ne faut pas parler des autres) ? c’est d’avoir pris quelquefois de l’enflure pour de la grandeur ; de s’être permis quelques raisonnements cjue la tragédie ne peut admettre ; de s’être asservi dans presque toutes ses pièces à l’usage de son temps, d’introduire au milieu des intérêts politiques, toujours froids, des amours, plus insipides.

On peut le plaindre de n’avoir point traité de vraies passions, excepté dans la pièce espagnole du Cid, pièce dans laquelle il eut encore l’étonnant mérite de corriger son modèle en trente endroits, dans un temps où les bienséances théâtrales n’étaient pas encore connues en France. On le condamne surtout pour avoir trop négligé sa langue. Alors toutes les criti(|ues faites par des hommes d’esprit sur un grand homme sont épuisées ; et l’on joue Cmna et Polyeiicte devant l’impératrice des Romains, devant celle de Russie, devant le doge et les sénateurs de Venise, comme devant le roi et la reine de France.

Que reproche-t-on à Shakespeare ? ^ ous le savez, messieurs : tout ce que vous venez de voir vanté par les Chinois. Ce sont, comme dit M. de Fontenelle dans ses Mondes, presque d’autres principes de raisonnement. Mais ce qui est bien étrange, c’est qu’alors le théfttre espagnol, qui infectait l’Europe, en était le législateur. Lope de Vega avouait cet opprobre ; mais Shakespeare n’eut pas le courage de l’avouer. Que devaient faire les Anglais ? Ce qu’on fait en France : se corriger.

M’"^ Montagne condamne dans la perfection de Racine cet

1. Ces Remarques sur le Cinna de Corneille font partie do V Apologie de Shakespeare, et remplissent les pages U)0-214 de la traduction française ; mais la tragédie de Rodogune n’est le sujet d’aucun article spécial. (B.)